Allemagne : Leadership et communication

Posté le | Par Gilles UNTEREINER

Extrait du livre "Le marché allemand aujourd'hui" Stratégie, vente et management"
disponible chez https://bit.ly/2qnXt9y

Chapitres déjà publiés : 

Chap. 1 - Stratégie de conquête pour l'Allemagne

Chap. 2 -Allemagne - La demande, le marché...les marchés

Chap. 3 -Politique commerciale et choix de distribution en Allemagne

Chap. 4 -Gestion directe du marché allemand

Chap. 5 -Tactiques de négocation

Chap. 6 -Les étapes de la négociation

Chap. 7 -Allemagne - Gestion des conflits

Chap. 8 -Le recrutement en Allemagne

Chap. 9 -Animation d'une structure commerciale en Allemagne

Chap.10 -Implantation d'une structure commerciale en Allemagne

Chap.11 -Acquisition d'une société, croissance externe en Allemagne

Chap.12 -Intégration des structures reprises en Allemagne - PMI Post Merger Integration

Chap.13 -Allemagne - Sensibilisation interculturelle, management et culture

Chap.14 -Facteurs de développement des entreprises en Allemagne

Chap. 15-La gestion courante des entreprises en Allemagne

Chap. 16-Organisation de réunions et prise de décisions en Allemagne

Chap.  17- La gestion des ressources humaines

 

Chap. 18 - Leadership et communication en Allemagne

 

Pour comprendre tous les aspects psychologiques sous-jacents aux comportement de leurs nouveaux collaborateurs, les cadres dirigeants ont intérêt à se sensibiliser à la culture d’entreprise proprement dite, laquelle diffère passablement aux plans

  • de l’approche stratégique,
  • de l’investissement et de la productivité,
  • de l’approche internationale,
  • du système d’autorité, de l’innovation, 
  • de la gestion de réunions et de l’organisation du consensus décisionnel,
  • de la gestion des ressources humaines,


    on l'a vu, mais aussi et particulièrement, aux plans du leadership et de la communication.

Principes de leadership

“ Etre devant les peuples ou les accompagner ? ”

Faut-il être devant, ouvrir la marche pour entraîner le groupe, selon les principes de Napoléon, ou faut-il accompagner la collectivité ?

En Allemagne, le rôle de la hiérarchie est de coordonner les énergies. Elle doit optimiser l’environnement fonctionnel des subordonnés pour qu’ils soient efficaces collectivement. Les former, organiser la prise de décisions (consulter les experts, comme on l’a vu plus haut), cadrer les tâches, les mandats des opérateurs sous sa responsabilité. En somme, exercer une fonction de facilitateur, être formateur et coach.

Ce faisant, une fois son office accompli, le groupe formé et en bon ordre de marche, la hiérarchie ne doit plus intervenir et éviter de vouloir agir à la place des opérateurs désignés lorsque par exemple cela n’avance pas assez vite à son gré.
Il s’agit de “ Faire faire ” et non de se transformer en exécutant. Faire “ à la place de ” est un aveu d'échec dans la pratique de l’autorité. Il faut donc s'interdire l'interventionnisme au quotidien, s’interdire d’interférer et d’agir directement. Les Allemands ont bien perçu que ceci pouvait être une pratique française, et elle les insupporte formidablement.

In Frankreich kann man übergangen werden ! (littéralement : « en France on peut vous passer par dessus la tête, soit contourner »). Il y a dans cette formule une terrible appréhension que peuvent seulement percevoir ceux qui ont déjà travaillé en Allemagne. Elle implique que tous les accords que l’individu a passés avec le corps social, sa fonction donc son identité, sont caducs. Wenn jemand den Eindruck hat, dass man an ihm vorbei läuft, fühlt er sich in seinen Zuständigkeiten angegriffen (« quand quelqu’un a le sentiment que cela se fait malgré lui, il se sent lésé sur le plan de ses attributions »).
L’incompréhension est immense. La démobilisation immédiate.
Sur ce plan, le choc sociologique est fréquent et la déperdition d’énergie conséquente. Il faut absolument prendre en compte cette question et être très vigilant.

En Allemagne, l’autorité doit être rationnelle, légale.

Par ailleurs, lorsque l’Histoire a en outre rendu attentif aux toujours possibles dérives du pouvoir et que l’on a développé une grande conscience de la nécessité de constituer des garde-fous contre les exactions, il est évident que l’émergence d’une individualité forte sera systématiquement endiguée. Une personnalité charismatique est très vite considérée comme suspecte.

Le groupe prime sur l’individu, aussi, celui-ci doit-il éviter de d’apparaître comme une personnalité émergente, s’autorisant des prises de position trop ostentatoires qui reviendraient à vouloir “ s’approprier ” soit l’image collective, soit la destinée du groupe. Dans ce cas, il deviendrait un danger pour tous les autres.

L’individu doit s’interdire tout activisme personnel trop patent et porter tous ses soins à se glisser dans le moule de l’organisation.

A défaut, le groupe ne le laisserait pas évoluer vers des niveaux hiérarchiques élevés et il encourrait même le risque de se faire exclure. Il serait “ frappé d’ostracisme ” à la manière antique qui voulait que dès qu’un quidam prenait trop de place, on l’invitait à vider les lieux pour aller soit se réhabiliter l’Ego dans une autre cité en qualité d’humble immigrant (métèque), soit se défouler en allant coloniser quelque contrée barbare…

“  Les Ephésiens /…/ ont banni Hermodore, l’homme d’entre eux le plus capable, disant : que pas un seul de nous ne soit le plus capable ou, s’il est quelqu’un de tel, que ce soit ailleurs et parmi d’autres ” Heraclite, Fragments, Diogène Laërce – Vie des philosophes par Marcel Conche

C’est particulièrement vrai en Allemagne où, à quelques exceptions près, même les dirigeants de grands groupes pratiquent une dimension grand public sobre. La médiatisation individuelle est peu pratiquée. Cela est dû à l’histoire récente qui fait que toute référence à une dimension élitiste est proscrite.

En conséquence, lorsque les Communautaires doivent gérer des Français, ils sont littéralement en défaut d’encadrement, car une fois qu’ils ont rédigé les descriptions de poste et les procédures opérationnelles, ils ont le sentiment qu’ils ont fait leur travail et considèrent qu’à partir de là les choses doivent se mettre en musique naturellement. C’est omettre le fait que l’Individualiste veut de la concertation au quotidien et que la règle ou la procédure peuvent être détournée à tout moment.

De ce fait, lorsqu’ils ont à gérer des personnels habitués à une hiérarchie à effet d’entraînement et à une coordination par supervision directe, les Allemands sont souvent pris en défaut. Ils ne comprennent pas que, tout étant écrit, il ne se passe rien, voire même qu’il se passe “ autre chose ” que ce qui était prévu par les instructions !

En France , les êtres ne se considèrent pas nécessairement égaux. Ils n’acceptent l’autorité et ne s’y plient sans réticences que si elle est porteuse de valeurs, d’espoir, de sens, en quelque sorte si elle les “ dépasse ” de manière évidente. A défaut, l’autorité sera toujours sujette à l’interrogation sous-jacente “ pourquoi lui et pas moi ? ”.
Pour être reconnu, le dirigeant doit être un véritable „leader“, un dirigeant incontestable.

En quelque sorte, le groupe se distingue par l’éminence des individualités qui le composent et l’individu s’y identifie s’il comporte des personnalités qu’il est littéralement fier de côtoyer. Le leadership doit être à effet d’entraînement, mobiliser le groupe et tendre vers l’autorité charismatique.

Relation à l'autorité

L’Allemand sait que dans son univers social spécifique, l’évolution hiérarchique requiert performance et allégeance. Aussi, s’efforce-t-il d’être opérationnel, mais également de faire profil bas devant le groupe afin de ne contrarier personne et de ne pas se faire marginaliser.

Comme son vécu historique l’incite au pessimisme, il va même manifester une méfiance instinctive envers les autres. L’individu se rassure essentiellement au niveau du groupe proche, auprès des acteurs de son voisinage restreint, dont le comportement a été largement constaté et la fiabilité consacrée par une longue pratique.

Comme, en outre, la promotion se fait d’échelon en échelon et qu’elle doit emporter l’accord de ses supérieurs immédiats, le salarié sera essentiellement loyal à ces derniers. Il va donc pratiquer une approche hiérarchique de proximité.

Seinen Vorgesetzen loyal sein dit-on en Allemagne (« Etre loyal envers ses supérieurs immédiats »).

On retrouve là l’“ effet Compagnie ” que l’on constatait dans la Wehrmacht, où la méfiance généralisée à l’égard de tout homme ne s’effaçait que dans le cercle restreint de la petite unité combattante à laquelle le principe de solidarité de proximité permit d’accomplir des exploits.

En France, les individus imaginent toujours possible une accélération de leur carrière qui les propulserait rapidement très haut dans la pyramide à l’occasion d’une possible “ opportunité ”. Tous les supérieurs sont perçus comme de potentiels facteurs d’accélération de carrière, au motif que si un jour une chance devait se présenter, encore faut-il pour pouvoir être appelé, avoir été repéré par les acteurs de la hiérarchie jusqu’au niveau le plus élevé possible. 

En conséquence, les Français apprécient particulièrement d’être sollicités par un élément éminent de la hiérarchie et vont même développer un réel lobbying, une stratégie personnelle de communication pour se faire identifier. L’individu opère dans une logique de distinction.

C’est une approche hiérarchique tous azimuts. Toute relation à l’autorité, quelle qu’elle soit, est bonne à prendre.

La communication en entreprise 

La productivité passe par la spécialisation et la mise en place de schémas décisionnels appropriés à chaque catégorie de population. Encore faut-il que les instructions passent et que les hommes soient incités, motivés pour les appliquer.

La question de la communication porte sur l’information opérationnelle destinée aux actions routinières afin de faire connaître aux opérateurs les schémas fonctionnels qu’ils doivent appliquer.

En Allemagne, au stade de l’exécution prévalent des schémas quasi tayloriens. L’individu est largement encadré par les process,ce que Mintzberg nomme la standardisation des procédés. Tout est documenté, quelquefois jusqu’à la façon de tenir un marteau.

La communication est donc essentiellement un processus d’éducation dans le contexte duquel on ne peut demander à quelqu’un de réaliser une tâche que dans la mesure où on lui aura fourni une information et une formation la plus complète. C’est ce que Mintzberg nomme la standardisation des qualifications.

Si chez certains “on se débrouille ”, chez l’Allemand on soutient que “ si on ne m’a pas appris, je ne sais pas faire et je ne prendrai pas le risque d’improviser ”.

L’objectif est de faire en sorte que le titulaire du poste “ internalise ” les comportements requis, les fasse siens, afin qu'ils deviennent une seconde nature avant de commencer le travail.

Il s’agit d’une délégation de tâches dans le cadre de schémas opérationnels strictement standardisés et, qui plus est, ayant donné lieu à un entraînement conséquent quant à leur exécution.

 L’individu qui aura accepté ces règles et se sera montré loyal dans leur mise en œuvre progressera au plan hiérarchique. A mi-chemin de sa carrière, pérennité et progression hiérarchique étant automatiques, n’ayant nul besoin de s'intéresser à l'homme dans une perspective relationnelle, car c’est d’abord par sa diligence professionnelle qu’il va assurer sa progression hiérarchique, l’Allemand va strictement se focaliser sur sa tâche et largement se désintéresser des hommes, des individus.

Dans l’entreprise, cela crée un cloisonnement important et un faible niveau de communication spontanée, les individus n’allant pas spontanément vers les autres. En conséquence, pour faire passer l’information opérationnelle, il faut impérativement ritualiser la communication, institutionnaliser des moments de dialogue, organiser le consensus, amener les services à dialoguer.

Si la hiérarchie n’organise pas cette diffusion de l’information, l’individu ne se sentira pas concerné, ni impliqué.

  In deutschen Unternehmen werden Informationen als Bringschuld angesehen, der hausinterne Verteiler hat zum Ziel, alle an einem Projekt Beteiligten auf den gleichen Wissensstand zu bringen » dit toujours notre conseil allemand (« dans les entreprises allemandes la hiérarchie a une obligation d’information à l’égard de tous les participants à un projet »).

En France, la faible formalisation des fonctions et des tâches fait qu’il n’y a que peu d‘instructions formelles pour l’accomplissement des missions. Pour compenser cette déficience d’instructions écrites, cette carence d’instructions formelles, la coordination se fait par supervision directe et à travers un modèle de communication essentiellement verbal.

L’individu s’efforcera de compléter son niveau d’information par une quête autonome, que les Allemands nomment Hohlschuld (l’obligation de chercher soi-même l’information).

C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles les Français restent souvent tard le soir, pour avoir des conciliabules informels avec la hiérarchie et vérifier s’ils sont bien en phase avec la stratégie et les schémas d’action du moment et que les instructions initiales n’ont pas été altérées, modifiées, corrigées entre-temps.

Cela va conduire l’individu à garder un contact étroit et continu avec les autres, à chercher une concertation permanente. Le manque d’instructions formelles doit être compensé par le verbal et la communication devient une règle, un système.

Il en naît un feed back permanent d’informations, une stratégie de communication permanente.

Par ailleurs, dans ces entités à forte dépendance hiérarchique, la question de la communication est fortement influencée par la nature même de la relation hiérarchique. L’individu ne disposant pas d’une fonction bien balisée, ni de tâches bien répertoriées, dont l’exécution stricte lui assurerait une légitimité, il n’a pas véritablement de protection formelle, ni d’unité de mesure tangible relativement à son acceptation par le groupe ou ses supérieurs.

La pérennité n’étant pas assurée par un mandat professionnel conférant des certitudes, l’individu va chercher à l’obtenir par le contact humain. Pour ce faire, il va engager une action relationnelle à l’égard des supérieurs, “investir sur l’homme”, fabriquer un “ tissu relationnel ”, des liens sociaux indéfectibles et nouer des “ relations humaines solides”. D’une certaine manière, cela consiste à se procurer de la sécurité par les affects.

C’est une approche politique de l’autre, où “ ce qui compte, c’est qui je connais ” selon la formule de Dupriez et Simons dans La résistance culturelle. Cette approche est typique des milieux individualistes. Elle est à la base de la politique de réseaux.

Une formule anglo-saxonne dit Work and network.

Le mouvement n’est pas unilatéral, c’est-à-dire vers le haut, mais également vers les subordonnés. Cela entraîne une ouverture permanente sur l’autre et une écoute extrêmement active, qui, avec le temps, passe de simple calcul au niveau du réflexe, puis à celui de l’instinct. Par un enchaînement proprement mécanique, l’individu engage une logique relationnelle avec tous ceux qui l’entourent dans une attitude véritablement empathique.

Précisons par ailleurs que l’idée anglo-saxonne du “ management by wandering around ” est proscrite, car interprétée comme une irruption hiérarchique inconsidérée (willkürlich). Elle est plus déstabilisante que dynamisante. Le fait que la hiérarchie puisse interférer de façon impromptue dans la mission des individus les inquiète plus qu’elle ne les flatte.

 

Extrait du livre "Le marché allemand aujourd'hui" Stratégie, vente et Management" disponible chez https://bit.ly/2qnXt9y