Extrait du livre "Le marché allemand aujourd'hui" Stratégie, vente et management
disponible chez https://bit.ly/2qnXt9y
Chapitres déjà publiés :
Chap. 1 - Stratégie de conquête pour l'Allemagne
Chap. 2 -Allemagne - La demande, le marché...les marchés
Chap. 3 -Politique commerciale et choix de distribution en Allemagne
Chap. 4 -Gestion directe du marché allemand
Chap. 5 -Tactiques de négocation
Chap. 6 - Les étapes de la négociation
Chap. 7 - Gestion des conflits
Toute relation humaine connaît des situations non maîtrisées, des impondérables, qui vont altérer le jeu économique et enclencher des conflits d’intérêts entre les parties.
Il s’agit à la fois d’optimiser le présent, c’est-à-dire l’équilibre financier du deal en cours, ce qui n’est jamais aisé, mais aussi le futur, en altérant le moins possible la relation partenaire commercial, ce qui n’est jamais gagné.
Curieusement, tant l’équilibre du deal présent que la relation pour le futur impliquent une grande fermeté, gage de professionnalisme.
Des conflits d’intérêt peuvent survenir dans les meilleurs ménages. La question n’est pas de les éviter, mais de les gérer.
Etapes :
- Formulation des doléances / du conflit
- Règlement du conflit
Enoncé de la problématique
Allemagne
En Allemagne le salarié évolue dans un monde organisé et planifié.
Etant donné l’imbrication clairement définie des différentes actions, toute perturbation génère des problèmes importants, car aussitôt qu’un des acteurs ne remplit pas correctement sa mission, le système entier se bloque.
Les difficultés et les différends sont abordés ouvertement. Tout est discuté sans ménagements. Aussi, les doléances sont présentées de façon directe, voire avec insistance.
La démarche est généralement engagée de façon abrupte. En cas d’impondérables ou lorsqu’il y a désaccord, l’Allemand en particulier ne sera pas du genre à “ positiver ” mais deviendra vite irascible, allant immédiatement – avant même l’établissement des faits – jusqu’à la menace et la mise en demeure. Une tension maximale peut apparaître instantanément.
Les Allemands pratiquent une gestion des conflits à la dure – une communication directe sans euphémisme. Cette approche est positivée par le concept élégant de Offene Streitkultur (culture de conflit ouverte), par opposition à ce que les Allemands constatent chez d’autres et qu’ils nomment « indirektes, diplomatisches Verhalten » (« la diplomatie indirecte » c’est-à-dire, de leur point de vue, pas franche).
Un ensemble d’expressions allemandes illustre bien ce fait :
- Den Tisch sauber machen (littéralement « nettoyer la table »).
- Man sagt eigentlich was Sache ist (« en Allemagne, on est très direct. On dit ce qui est. Dans les faits on met les pieds dans le plat »).
- Lieber ein Ende mit Schrecken als ein Schrecken ohne Ende (« mieux vaut une fin dans la douleur qu’une douleur sans fin »)
L'expression allemande "Wenn es hart auf hart kommt" est symptomatique du fait que les Allemands ne considèrent pas comme anormal de gérer des conflits à la dure.
« La justice est une lutte, et tout arrive à l’existence par la discorde et la nécessité. » Héraclite d’Ephèse.
France
Quand on connaît des difficultés avec un partenaire avec lequel on a bâti un réel capital de confiance et d’estime, on va chercher à préserver celui-ci et on tentera de sensibiliser l’autre progressivement à une question conflictuelle avec moult nuances. Il s’agit de ne pas le déstabiliser pour ne pas altérer la relation.
Il s’efforcera d’être constructif, d’expliquer les choses avec courtoisie et doigté en positivant, c’est-à-dire en rappelant les éléments favorables de la transaction pour le mettre en confiance avant d’introduire les sujets de dysfonctionnement. Le principe d'harmonie prévaut et doit être respecté.
Ici on évitera les conflits autant que possible. « L’Evitement ».
Le fait d’être direct est considéré comme une volonté de domination et non comme de la sincérité.
Il faut être très prudent avec la critique, car même constructive elle peut avoir un effet dévastateur au plan relationnel.
De toute façon les problèmes n’existent pas ! Celui qui parle de problèmes « devient le problème » en cet univers centré sur l’homme donc le relationnel.
Le règlement des conflits nécessite un traitement courtois et un grand doigté. : « Toute vérité n’est pas bonne à dire ».
En France on pratique une gestion de conflit souple, empreinte de diplomatie.
En Allemagne, la sensibilisation progressive et courtoise, ne fait que provoquer l'indifférence, l'étonnement et probablement même l'ironie voire la méfiance. Lorsque quelqu’un nuance une doléance ce sera interprété comme "durch die Blume" avec toutes les conséquences psychologiques que cela peut entraîner.
Si l'expression est jolie le résultat est désastreux puisqu’il faut l’interpréter comme quoi le message n’est pas franc ce qui ne manquera pas d’inquiéter l’Allemand.
Dans la psychologie des Allemands, la sensibilisation progressive, n'est guère praticable. Lorsque quelqu’un à une doléance à exprimer, il doit le faire de manière claire pour que le destinataire de celle-ci n’ait pas à décoder, faut de quoi il n’y « entendra » que du feu. Bien au contraire, il ne faudra pas hésiter à provoquer la controverse et, très vite, menacer des dernières extrémités, aux fins de provoquer une prise de conscience et amener l’autre à réagir.
Règlement de la problématique
Allemagne
Plus le milieu est concurrentiel, plus l’enchaînement des réactions sera fondé sur le modèle stress/anxiété/adrénaline/agressivité.
Les situations de conflit engendrent du stress et il faut rechercher les responsables de ce problème. Il faut que la faute soit imputée à quelqu’un.
Sur le plan industriel et commercial, si l’on est dans une relation entre commerçants, il faut vérifier la chaîne de fabrication et de livraison.
Sur le plan hiérarchique, il faut chercher à identifier l’origine de la faute, qui sera nécessairement soit une faute de subordonné/exécutant, quelqu’un qui “ n’a pas fait ce qu’il devait ”, un exécutant qui n’a pas correctement exécuté sa mission, soit une faute de supérieur/concepteur, quelqu’un qui n’a pas prévu de “ faire faire ”, un cadre qui aura été imprécis dans les instructions données.
Chacune des “ fonctions ” concernées sera, dans une logique bottom up, impliquée tour à tour dans le cadre d’une présomption de faute professionnelle. La chose est grave, car compte tenue des formations assurées aux individus, de leur description de poste et de procédures très carrées, normalement rien ne devrait arriver. L’erreur professionnelle est toujours une faute personnelle.
L’individu pourra être amené à adopter une attitude de dégagement (« c’est pas moi ») ou de dérivation (« si c’est pas moi, c’est donc toi »).
Le dégagement consiste à se dédouaner (« c’est pas moi »). “ Nous avons opéré conformément aux normes en usage, aux instructions … : à partir de là, nous nous sentons dégagés de toute responsabilité. ”
L’intense formation donne généralement aux individus le sentiment que, s’ils ont opéré dans les règles de l’art, ils sont dégagés des conséquences de leurs actes. Il en est de même s’ils ont opéré conformément aux instructions de leur hiérarchie, cohérence hiérarchique oblige. C’est le réflexe primaire, même de cadres de haut niveau.
La dérivation consiste à reporter la faute sur un tiers (“ si ce n’est pas moi, c’est donc toi ”)
Il s’agit ici d’une forme d’effet bouclier. La tentation sera particulièrement grande lorsque le tiers incriminé est exogène, par exemple un fournisseur étranger. Ce sera à lui de faire face à la présomption d’incurie et d’établir son innocence.
Le règlement va être combatif et il s’agira de mettre à plat toutes les difficultés.
L’organisation est plus orientée vers l’amélioration des performances que vers la résolution des problèmes des individus. Le système ne cherche pas nécessairement à régler chaque difficulté identifiée au cas par cas, mais il instaure des procédures de contrôles supplémentaires. Une fois l’incident identifié, on va immédiatement pallier la défaillance de l’opérateur ou l’éventuelle carence de procédure (création d’un nouvel alinéa).
Taylor n’est pas mort et dans l’entreprise : “ la nature humaine [est] une gêne, inévitable mais certainement regrettable, qu’il faut autant que possible canaliser ”.
Les individus ne cherchent à capitaliser ni sur l’effet relationnel, ni sur le principe d’harmonie, ne se connaissent que des obligations réciproques, des obligations mutuelles de performance et s’attendent à un engagement absolu de réalisation. Ce n’est pas « tu aimeras » mais « tu feras ».
Schuldige werden gesucht und zur Rechenschaft gezogen (« les coupables seront identifiés et amenés à rendre compte »).
Dans un deuxième temps, le salarié incriminé sera l’objet de l’ire conjuguée de tous les opérateurs devant officier après ou parallèlement à lui. Il se sera soustrait à une obligation professionnelle et pour lui ça va chauffer (avertissement, mise en demeure…).
Il y aura donc obligation pour l’individu :
- -d’assumer la faute à titre personnel, ce qui est un drame total dans l’engagement de discipline qu’il a pris à l’égard de son groupe,
- -de redresser les torts, sans plus de droit à l’erreur.
Cela dit, lorsque les Allemands se mettent en situation de non communication, ne documentent plus rien, c’est qu’ils se sentent en faute, et à partir de là essayent de laisser le moins de traces possibles.
Comment gérer la situation
Lorsque dans une relation professionnelle on fait l’objet d’une sollicitation, même outrancière, la règle du jeu est de jouer le jeu et de « chercher la faute ».
Il s’agit dans un premier temps de constater, prendre la demande en compte, programmer le processus de vérification industriel et commercial afin d’apporter des preuves formelles des faits et démontrer que, pour sa part, on a rempli son contrat.
Si entre eux ils ont déjà tendance à se défausser de la faute, il est évident qu’à l’égard d’éléments exogènes la tentation sera d’autant plus grande et, en conséquence, ce sera au fournisseur étranger d’assumer la « présomption d’incurie » et d’établir son innocence.
Gare, s’il ne s’est pas structuré pour pouvoir le faire.
Agir en réparation
S’il y a eu des problèmes qui sont imputables au fournisseur, il y a lieu de porter la faute, d’accepter clairement les faits, de les acter pour en décharger l’autre, pour le délivrer de sa tension psychologique, de son fardeau.
Il faudra en outre s’engager à redresser les torts, à accepter les marchandises en retour, à remettre en état ou à compenser... et de définir, non seulement les modalités mais aussi l’échéance de la réparation pour qu’il puisse reprogrammer en interne le flux des interactions et mettre son dossier en instance, rassuré d’avoir fait son office et tout du moins secoué le cocotier.
« Nicht in der Schwebe lassen. » Ne pas laisser dans l’incertitude, faute de quoi on devient unzuverlässig, ce qui serait de mauvais augure pour les relations futures.
Marquer ses positions
Si le fournisseur devait estimer qu’il y avait des pratiques de contentieux inacceptables, ne pas hésiter, quel que soit l’enjeu financier, à aller sur place pour constater les phénomènes. Ceci produira un effet psychologique dissuasif pour la prochaine fois.
Si une sollicitation était sans fondement, et que vous avez des éléments de réponse il convient de prendre position fermement en alignant les faits, de n’accorder aucune concession et de demeurer intraitable en raison de plusieurs considérations :
- si vous ne bloquez pas une doléance infondée vous créez une habitude, un fait acquis sur lequel il sera difficile de revenir.
- si vous cédez, bien que vous ne soyez pas été en tord, vous ne gagnerez aucun point affectif mais inciterez simplement à la récidive. Si vous facilitez le basculement des fautes en ne les contrant pas, mais en les accompagnant en signe de bonne volonté, il y a fort à parier que vous générerez des réflexes. « Probieren kostet ja nichts » dit-on dans ce pays et il n’est peut être pas nécessaire de tendre l’autre joue.
- si vous cédez, en faisant une concession vous démonterez vous-même le faisceau d’argumentations que vous aurez construit pour évacuer votre responsabilité et introduirez l’équivoque et la suspicion chez l’être manichéen qu’est l’Allemand. Fautif on connaît. Pas fautif on connaît aussi. Pas fautif qui propose malgré tout réparation au motif d’investissement relationnel, voilà qui est inconnu et qui discrédite totalement l’argumentation initiale.
L’intervention de l’homme de l’art pour une appréciation contradictoire de la faute
Lorsque les parties ne peuvent attribuer une faute et qu’elles ne savent qui doit la réparer, elles sont toutes les deux en situation de faute professionnelle, car elles n’auront pas pris de dispositions contractuelles suffisamment certaines pour boucler la transaction. L’Allemand ne va pas aliéner ses intérêts, ses droits, ses « Ansprüche », au motif de compromis, mais dans le silence des dispositions prises par les parties il va chercher la situation de droit, il va chercher à établir « son droit », et pour ce faire sollicitera le juriste. S’il y a incertitude, il y a faute commune par imprécision et il convient de recourir à cet homme de l’art pour trancher.
Celui ci fera dans un premier temps une étude circonstanciée des faits en sollicitant officiellement toutes les parties, qu’il mettra en demeure de prendre position de la façon la plus formelle. Compte tenu de tous les éléments recueillis, il statuera par rapport à son appréciation du contexte en fonction du droit et de l’état de la jurisprudence. Si par ses éclairages successifs les faits et les responsabilités sont devenus évidents, il aura fait son office. A défaut, la chose sera soumise à l’arbitrage suprême, c’est-à-dire à la juridiction, dans la mesure où, vaille que vaille, il faut bien trouver une solution au différend et que le fait de solliciter la Cour permettra au moins d’établir un cas de jurisprudence qui réduira les marges d’incertitude pour les relations futures.
Comme le droit allemand impute tous les frais au perdant, il y a une forte propension à se prémunir juridiquement au préalable, puis à solliciter les juristes et enfin, quand le différend ne peut être réglé autrement, à pratiquer le choc frontal de la confrontation judiciaire.
Le principe de masculinité fait que point n'est besoin d'arguer de prétendus liens d'amitié tissés au fil du temps. Lorsque vient l'heure du conflit d'intérêts, il y a conflit tout bonnement, la contradiction sera véhémente, le contentieux féroce, sans nuances et l’Allemand sera résolu dans la défense de ses droits. La décision judiciaire obtenue, peu importe les contraintes financières pour les uns et les autres, il imaginera même que l’altercation pourrait ne pas avoir de suites fâcheuses et que les relations commerciales peuvent reprendre.
Il s'agit ici non de juger, mais de ne pas se laisser surprendre. En fait la démarche visait une meilleure clarté des choses pour la prochaine transaction. Cette démarche, « sachlich », aura des effets désastreux sur l’individu de nature individualiste, qui après avoir capitalisé sur la relation et œuvré de concert avec un quelqu’un durant longtemps, ne tolérera pas cette rupture symbolique du principe d’harmonie qui lui fera généralement pratiquer le triple rejet mahométan à savoir la répudiation du contact.
S’ils ont la pratique du contentieux aisée, il ne faudrait cependant pas en conclure que l’on aurait affaire à une population de « plaideurs » prenant plaisir à l’échauffourée judiciaire. Le fait de devoir faire trancher par des tiers une pratique professionnelle, n’est pas nécessairement vécu comme un acte glorifiant, bien au contraire. Il faut donc partir du préalable de la bonne foi de la transaction initiale, car l’opérateur individuel a un intérêt personnel à ce que le flux des relations soit sans dysfonctionnements « reibungslos », car tout dysfonctionnement le dessert, nuit à son image personnelle de professionnel qualifié.
Si les milieux professionnels que sont le commerce et les métiers, qui sont souvent des structures atomisées dont la pérennité n’est pas forcément garantie, peuvent relever de comportements potentiellement « porteurs de contentieux », d’une manière générale, l’industrie peut bénéficier d’une présomption d’honnêteté. On n’exclura pas à la marge quelques filouteries toujours possibles.
Préparation mentale
Après une expérience de ce type, qui aura été éprouvante tant pour les nerfs que pour la trésorerie, il faudra s’efforcer à un effort didactique à l’égard de toutes les fonctions de l’entreprise ayant été partie prenante au « choc culturel ». Il s’agit seulement d’amender les procédures afin d’éviter que les problèmes ne se reproduisent, mais encore de réparer les lésions relationnelles, que la virulence des récriminations n’aura pas manqué de générer.
En prévision de nouvelles situations de conflit, il sera judicieux de former tous les acteurs internes de l’entreprise. Les Français sont des êtres axés sur l’homme, quelque peu humanistes et prêts à faire un effort pour comprendre l’autre. Il faut leur apprendre à ne pas personnaliser l’agression. Il faut leur faire constater que s’il y a dysfonctionnement chez les Allemands, c’est un drame personnel pour eux et qu’il y a nécessité de part et d’autre de faire un effort - psychologique de compréhension, d’écoute et d’empathie. Ce qui consiste à devenir un déstresseur de Sécuritaire.
Il faut aussi les sensibiliser au problème factuel qui consiste à corriger les procédures afin d’éviter un dysfonctionnement futur.
France
Le principe d’intégration des intérêts de l’autre, donc aussi de ses problèmes, implique qu’on le laisse exprimer toutes ses doléances, souhaits, vœux, problèmes et qu’ensuite on réponde, non point en contre argumentant point par point de manière stricte, mais en prenant en compte la transaction globale dans une logique « win win, gagnant gagnant ».
On engagera un processus de « régénération de l’alliance ». En fait, on s’arrangera à l’amiable, chacun fera des efforts et si l’autre n’en fait pas, la confiance est rompue. Il y aura alors rejet, quelles qu’en soient les conséquences.
Le Latin, essentiellement empathique n’a, au demeurant, pas besoin qu’on le forme dûment aux théories « Win/Win », il les pratique naturellement et intuitivement.
Ces modèles théoriques sont le fait de civilisations combatives qui doivent réapprendre des « relations humaines dédramatisées », alors que l’individu de nature empathique doit pour sa part faire un effort sur lui-même pour accepter la logique de combat et réapprendre à défendre ses intérêts.
L’individualiste dans un univers économique peu combatif privilégie les bonnes relations, ce qui impose de ne pas déroger aux principes d’harmonie et d’éviter de bloquer un partenaire ou un collaborateur.
Cela peut encourager deux types de comportements : l’accommodation et le compromis.
L’accommodation : en présence d’une relation stratégique que l’on ne veut pas perturber, lorsque l’enjeu économique est moindre, on peut imaginer tactiquement utile de prendre en charge la faute pour qu’il n’y ait pas de vagues. Dans ce cas, on refuse de trancher.
Cela présuppose que le protagoniste fera à l’occasion un geste en retour. L’idée est que “ on fait une concession, mais on en attend une autre en retour à l’occasion ”. C’est le principe même du Giri japonais.
En Allemagne cela risque simplement de créer un précédent.
Le compromis : sans trancher véritablement là non plus, on propose de partager le dommage, de s’arranger, de couper la poire en deux. Là encore, cette attitude est peu favorable pour la crédibilité à long terme et pour le maintien de la confiance.
En Allemagne, comme la faute est indivise, le compromis consiste littéralement à reconnaître ses propres erreurs sans incidence véritable sur l’attitude du tiers.
Comme vu précédemment, fautif on connaît. Pas fautif on connaît aussi. Pas fautif qui propose malgré tout réparation au motif d’investissement relationnel, voilà qui est inconnu et qui discrédite totalement l’argumentation initiale.
Les délais
Tous des kanbanistes ?
Comme les Allemands programment tout, ils se seront organisés pour disposer de leur livraison à terme strict.
Sans vouloir prétendre qu’ils sont tous kanbanistes, il n'en demeure pas moins vrai qu'ils n’ont pas le réflexe de stocker au motif d'éventuelles grèves des fournisseurs ou de l'environnement de ceux-ci (transports routiers ou ferroviaires, PTT) et comptent sur les arrivages JUST IN TIME. C’est la raison pour laquelle les perturbations en matière de délai tournent vite au drame. Après l'heure ce n'est plus l'heure.
A cet égard il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, il ne faut pas faire d’amalgame entre stress et délai de livraison. Les Allemands sont gens posés, structurés et programmés et il n’est généralement pas nécessaire de jongler avec les délais. Il suffit la plupart du temps de leur annoncer un délai raisonnable, conforme à leurs habitudes, et de s’y tenir.
Lorsque le délai est un facteur de différenciation sensible, ils accepteront généralement de prendre en charge les « surcoûts » de l’urgence.
Dépassement de délai, comment réagir
Si un délai ne peut être tenu en raison d’un fait exceptionnel bien évidemment, il faut éviter le flou :
- informer très rapidement son partenaire sans chercher à faire le gros dos sous prétexte que si on l'informe, il pourrait annuler sa commande.
- lui fixer une nouvelle échéance, à respecter, de manière qu'il ne soit pas laissé dans l'incertitude, situation ingérable pour lui.
Cette échéance devra, si possible, être fixée par écrit, afin qu’il puisse considérer que les choses reprennent leur ordre naturel. On évite ainsi d'être soumis à un harcèlement permanent.
L’Allemand qui a une instance sur son bureau ne peut la ranger que si elle est réglée.
S’il importe de tenir compte de l’agressivité de son correspondant, il convient de prendre en compte son inquiétude, car il se sent viscéralement en défaut professionnel.
Si ce n’est pas lui qui livre la marchandise en retard, c’est probablement lui qui est à l’origine du référencement du fournisseur défaillant.
Conséquences du non respect des délais
Si la transaction pour délai délictueux n’aboutit pas, le fournisseur risque :
- que la marchandise soit retournée à l'envoyeur à ses frais (cela est fréquent au niveau du commerce de détail),
- que des pénalités de retard lui soient appliquées,
- que, et c'est le risque majeur, qu’il soit rejeté de la liste des fournisseurs référencés pour "Unzuverlässigkeit". (non fiabilité)
Eléments de communication non verbaux
Toute interaction humaine suppose un mode de communication, c'est-à-dire un ensemble de dispositions verbales et également non verbales chargées d'exprimer, de traduire, de signifier.
Le non verbal recouvre à la fois des éléments :
- textuels, les mots, les paroles, les phrases,
- co-textuels, les stimulis visuels,
- contextuels.
« Il existe une autre manière d'orienter le comportement, c'est le troisième langage - langage non verbal, composé de gestes, d'attitudes et de symboles qui peuvent être combinés pour constituer un moyen efficace et vivant de communiquer des concepts intellectuels émotifs. - Langage du corps - » P. 73 - Dichter Ernest - Motivations et comportement humain
Si la communication verbale est déjà plus ou moins explicite, comme nous l’avons vu plus haut, il est évident que le « non verbal » sera essentiellement implicite, relevant d’un décodage culturel propre à chaque entité sociétale.
Ce décodage étant la plupart du temps inconscient, il pourra soit contribuer à structurer le message verbal, soit le parasiter totalement, à l’insu même de l’émetteur.
Objectivité – Directivité
Allemagne
L’objectivité et l’approche factuelle sont de rigueur et la dimension relationnelle importe peu. Les émotions sont plutôt considérées comme une faiblesse.
La franchise constitue la base de toute communication est-il dit ... même si cela risque d’altérer la relation.
Lors des réunions il est permis de débattre, contredire, d’interrompre. On est très direct avec la critique.
Cette approche est positivée par le concept de « Offene Streitkultur » (culture de conflit ouverte).
France
Dans les cultures axées sur la personne, on mise sur la qualité des relations interpersonnelles. Une grande importance est accordée à l’étiquette, aux normes et à la courtoisie. Il ne faut pas porter atteinte à l’harmonie. Personne ne doit perdre la face. Toute confrontration entraînera un rejet.
Par politesse, on ne formulera pas en principe son objection par un « non » sec, mais on y mettra les formes avec diplomatie.
On dit que si un diplomate dit „oui“, cela signifie „peut-être“. S’il dit „peut-être“, cela signifie „non“. Et s’il dit „non“, ce n’est pas un diplomate.
Même une approbation doit être circonstanciée. Dans les cultures axées sur la personne un « oui » peut être simplement une forme de politesse et non un véritable accord. Un « oui » ne signifie pas nécessairement « oui nous sommes d’accord », mais peut également signifier « oui nous avons compris ce que vous voulez, mais réservons encore notre décision ». Un « oui » gaullien en quelque sorte.
Etre direct est considéré comme une atteinte aux bonnes mœurs et est ressenti comme de l’arrogance, et même de l’agressivité.
Un exportateur français a dit un jour être toujours impressionné par « l’éblouissante clarté du non allemand ».
En Allemagne il s’agira de ne pas se laisser bousculer et de défendre ses positions clairement sauf à risquer, au mieux, discrédit, au pire, dégradation de ses intérêts.
Temps de parole et interactivité
Allemagne
Dans le contexte d’un exposé professionnel, le temps d’intervention de chaque partenaire est minuté.
Par ailleurs, l’intervenant Allemand se croira dans l’obligation professionnelle de préparer un texte auquel il se tiendra à la lettre, voire à la virgule. Il développera posément son propos, sans improviser aucunement, car cela signifierait qu’il ne s’est pas suffisamment préparé. Au bout de deux heures un auditoire individualiste sera endormi ou trépignera d’impatience. Les interventions n’étant pas improvisées, il est hors de question d'interrompre, sauf à risquer d’inhiber l’Allemand ou à le voir réagir vertement aux ingérences spontanées dans son temps de parole. C’est pour lui un fait totalement inadmissible voire une agression. Or les Français sont largement coutumiers du fait.
France
A une tablée de Français, le mode de communication est très réactif. La spontanéité des acteurs est favorisée par leur logique intellectuelle individualiste qui leur donne le sentiment de pouvoir contribuer à tout sujet.
A chaque avancée de concept par l’un des interlocuteurs, les participants interfèrent spontanément, chacun y allant de son argument, quelques fois à brûle pourpoint.
Ces interventions spontanées sont qualifiées d’interactivité, et représentent un signe d’intérêt.
Ce n’est pas de nature à engendrer une suite de réflexions forcément logiques ce qui importe peu dans la mesure où on ne fait qu’échanger des concepts que chacun pourra intégrer dans sa propre « Weltanschauung » (vision du monde) s’il le juge utile. La relativité des choses fait qu’il n’est pas nécessaire que les concepts soient admis par les autres stricto sensu.
Il s’agit, en interface avec des Allemands, de contraindre la spontanéité qui est à la fois facteur de dispersion et de stress, de stocker les questions et les remarques et de les synthétiser à la fin, lorsqu’est, enfin, venu son temps de parole.
Gestuelle
« Les stimuli visuels sont bien plus puissants que les mots. La compréhension du geste est intuitive, émotionnelle, immédiate, et même peut-être irrationnelle, alors que les mots doivent être filtrés par le cerveau avant d'être ressentis par tout le corps. » P. 82 - DICHTER ERNEST- MOTIVATIONS ET COMPORTEMENT HUMAIN -
Allemagne
L’Allemand se caractérisera par une grande sobriété des attitudes, une gestuelle modérée, des gestes limités et de faible amplitude. En outre, il sourira rarement lorsqu'il se présente et donnera l'impression de quelqu’un de formaliste, sévère et distant.
Lorsqu’environnement et histoire sont difficiles, plus l'être devient grave et sérieux, sinon tragique, et moins la décontraction est le style quotidien. Les attitudes humaines seront généralement relativement empesées, sinon carrément guindées, froides et austères, exemptes de toutes traces d'émotion ou de sentiment.
Les affirmations verbales, l’information sont neutralisées de tout effet de manche et de toute emphase. Le délire verbal est interprété comme un trouble de l'âme qui suppose une réflexion sous-jacente donc une entourloupe.
Par ailleurs, pour sa crédibilité, il est primordial de ne pas entrer dans un activisme gestuel ou relationnel, qui serait instinctivement interprété comme un acte manqué, c’est-à-dire comme un nuage de fumée destiné à détourner l’attention des problèmes de fond.
France
Par la mimogestuelle (le geste et le mime) l’individualiste se fait acteur, entre le message et véhicule des gestes symboliques censés contribuer à la crédibilité du message de fond.
La gestuelle est émotionnelle, chaleureuse, accompagne l’intention, amplifie et « démontre » l’implication et les éléments vocaux tels timbre, accent, intonation, débit, rythme... sont censés entretenir l’attention de l’auditeur toujours susceptible de vouloir décrocher, voire même de vouloir interférer dans les propos du locuteur.
En Allemagne cela induit l’ironie. On me parla un jour de «Paradefranzosen »
Distanciation interpersonnelle / proxémie
Chaque individu a son sens spatial, sa bulle personnelle invisible qui est une forme de territoire en lequel les intrusions sont à proscrire sous peine de réaction.
Allemagne
L’Allemand aime marquer les distances et repoussera tout rapprochement physique qu’il considère comme une pollution.
Les distances interpersonnelles des Allemands sont particulièrement élevées. Ils aiment littéralement garder leurs distances. La distance d’un bras est un minimum. Il s’agit d’éviter non seulement le contact charnel et l’envahissement de son espace mais aussi des débordements relationnels et notamment le tutoiement immédiat.
Gardons-nous donc de leur taper sur le ventre, ce n'est pas le style de la maison.
Le fait de tendre la main n’est pas une pratique d’usage systématique à l’instar de ce qui se passe en France. Ce geste d’ouverture sera cependant bienvenu.
France
L’Individualiste pratique un contact rapproché. C'est un geste de sympathie, symboliquement il va vers l'autre. Il cherche le contact humain, l’intimité, se rapproche de l’autre, cherche à témoigner de son intérêt pour l’autre, allant littéralement jusqu’au grooming (attitude consistant à pratiquer la proximité physique comme élément probant d’amitié/affection).
En Allemagne, une distanciation trop faible induit rejet.
Les éléments contextuels
L’Allemand qui existe essentiellement par sa caractéristique d’acteur économique et par son rôle social, aura à cœur d’affirmer sa place dans la société.
L’individualiste veut d’abord « être », sa logique individualiste l’amenant à peu se soucier de la perception qu’ont de lui les tiers.
La voiture
Chez les Allemands il vaut mieux ne pas faire pauvre et se présenter avec un véhicule « convenable », le seuil du convenable se situant largement plus haut qu’en France. Le véhicule a une dimension quasi existentielle et est un outil de symbolisation de la capacité professionnelle d’un individu.
L’individualiste lui accorde peu d’importance, voire cherche consciemment à ne pas affirmer son aisance financière.
Circulant en Allemagne il vaudra peut-être mieux louer une voiture de bon aloi.
Les vêtements
Chez les Allemands, l’habit fait le moine, « Kleider machen Leute ». Le rôle social étant sérieux, l’habillement professionnel sera sérieux. Nombre d’invitations à des réceptions stipulent l’ordre vestimentaire à respecter. « Dunkler Anzug ». L’habit sera cérémonieux et point bigarré.
Pour l’individualiste l’habit ne fait pas le moine et s’il se laisse aller à quelque distinction vestimentaire ce sera pour afficher l’image qu’il s’est choisi plutôt que correspondre à l’attente d’autrui.
Extrait du livre "Le marché allemand aujourd'hui" Stratégie, vente et management
disponible chez https://bit.ly/2qnXt9y