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Système d’autorité en Allemagne

Posté le | Par Gilles UNTEREINER

L’autorité et les systèmes de décision en entreprise

L’analyse de la question de l’autorité en entreprise doit être segmentée à plusieurs niveaux :

  • Les titulaires de l’autorité : qui prend quelle décision ? centralisation ou décentralisation ?
  • La perspective des décisions : quels en sont les objectifs ? ambitieux ou prudents ? à court terme ou à long terme ?
  • La préparation des décisions : comment sont validés les choix et quand sont prises les décisions ?
  • La prise de décision : contexte de la prise de décision : confidentialité ou réunion ouverte ?
  • Les perspectives tactiques des décisions : le nœud gordien, opérationnalité immédiate ou quête de solutions futures ?

Notre analyse ne s’en tiendra pas là, car une fois une décision prise, le processus décisionnel peut encore être influencé sur les plans de :

  • la mise en œuvre : comment est coordonné le travail ?
  • la vérification de l’application : comment sont assurés le reporting et le contrôle ?

Et même, in fine, nous aurons aussi à prendre en compte la question de la pérennité des décisions. Une fois prise, est-elle gravée dans le marbre, donc pérenne, ou tracée dans le sable, donc susceptible d’amendements ?

A tous les niveaux évoqués ci-dessus, la pratique des groupes humains peut varier et générer autant d’arbitrages que de contextes socio-économiques, ce qui est source de frustrations conséquentes lorsque les choix décisionnels impliquent des populations issues d’environnements culturels différents.

Les titulaires de l’autorité : qui décide ?

La grande question est donc ici de vérifier qui est titulaire de l’autorité et qui prend véritablement les décisions. Nous pouvons considérer d’une manière générale qu’une autorité ne se démultiplie et n’est déléguée que si les hommes sont d’une part jugés aptes dans leur savoir, mais aussi et surtout considérés comme loyaux et fiables.

  • Plus on a affaire à des individualistes tels les Francais, plus la « barre de la confiance » sera élevée, et plus les décisions tendront à être centralisées.
  • Plus la pérennité des hommes est importante, plus vite le seuil de confiance sera atteint et grande la capacité à déléguer.

Nous avons bien compris que si dans certains univers sociaux il y a une forte centralisation et dans d’autres une forte délégation – subsidiarité, dit-on en Allemagne –, il se trouve que les schémas décisionnels et le niveau de délégation peuvent varier selon le style et l’implication de la décision en question.

Les décisions courantes

Ce sont des décisions opératoires prises de façon routinière

En France presque toutes les décisions, même mineures, doivent être avalisées par la hiérarchie.

En Allemagne les décisions sont généralement préprogrammées dans le cadre du Manuel des Procédures, et exécutées rapidement, de façon quasi automatique, par des opérateurs ou par des fonctionnels agissant individuellement.

Les décisions managériales

Ce sont des décisions opérationnelles à contexte inédit et requérant l’examen de solutions nouvelles.

En France généralement la logique patriarcale forte porte à la centralisation .

Les décisions sont, le cas échéant, préparées par la technocratie, mais la prise de décision demeure l’apanage de la ligne hiérarchique et les problèmes non routiniers de coordination remontent la ligne hiérarchique jusqu’au moment où ils atteignent un niveau de supervision, où le responsable a l’autorité nécessaire pour les résoudre.

„Nous avons en France un système extrêmement centralisé. /…/ le sens profond de cette centralisation, / … est de/ placer une distance ou un écran protecteur suffisant entre ceux qui ont le droit de prendre une décision et ceux qui seront affectés par cette décision… Ceux qui décident n‘ont pas les moyens de connaissance suffisants des aspects pratiques et des problèmes qu‘ils ont à traiter. Ceux qui ont ces connaissances n‘ont pas le pouvoir de décision. “ Michel Crozier : La société bloquée, page 97.

Ceci entraîne le risque de goulot d’étranglement au sommet et force les cadres dirigeants à prendre rapidement leurs décisions pour des faits dont l’origine est ailleurs dans l’organisation. L’information transmise par une longue chaîne doit passer par de nombreux niveaux avant d’arriver au sommet. A chaque niveau, il y a des pertes d’information naturelles et des distorsions plus ou moins intentionnelles. Les bonnes nouvelles sont amplifiées, les mauvaises sont bloquées.

Decentralize to avoid bottleneck or centralize to be efficient ? L’éternel problème pour lequel il n’y a pas de choix absolu.

En Allemagne la hiérarchie est plate. Chaque service dispose d’une grande marge de manœuvre propre et les décisions sont largement prises au niveau de chaque groupe opérationnel. Il s’agit ici d’associer compétence et décision.

Non seulement la décision est prise au niveau de l’application, mais en outre il y a collégialité au sein du département opérationnel en question. Le responsable est “ Primus inter pares ”, pas plus. Coordonnateur, il participe aux décisions collectives de ses égaux dans une démarche consensuelle et participative.

Même les membres du Vorstand (Directoire) des grandes sociétés ont chacun un champ de compétence distinct, le primus inter pares est simplement “ Sprecher des Vorstandes” (porte-parole du Directoire).

“ Empowerment” dit l’Anglo-Saxon. Subsidiarité, dit-on en Allemagne où “ décider c’est convoquer les experts ”.

C’est véritablement l’autorité rationnelle (qui implique tout le monde) et légale (issue du rang et qui connaît les contraintes du métier). Nous détaillerons plus avant la question de l’évolution hiérarchique.

Ce modèle de rapport au pouvoir de décision est un puissant générateur d’intuitu personae à l’égard de l’organisation.

“ La négociation… est le principal moyen social de la reconnaissance : négocier avec quelqu’un, c’est être reconnu par lui. ” Bernoux : La sociologie des organisations, page 179.

Le processus de prise des décisions managériales sera développé plus loin.

Les décisions stratégiques

Elles sont par nature des décisions d’exception.

En France : le manager est la partie clé de la structure et il fait ses arbitrages souverainement.

En Allemagne : le phénomène consensuel fait qu’en temps sereins, la hiérarchie ne peut influer sur les actes des opérateurs et la stratégie des entreprises se fait à la base.

La large autonomie des „Fachleute“ (professionnels) au sein de leur département fait que la stratégie collective n’est que la résultante de l’addition des initiatives managériales individuelles. La hiérarchie a peu de prise sur l’action courante et, partant, sur la stratégie d’ensemble. Elle perd le contrôle stratégique, pour ne le reprendre qu’en situation exceptionnelle (volonté de céder) ou en temps exceptionnels (crise, difficultés financières…) lorsqu’il faut resserrer les rangs et centraliser. En dehors de ces phases exceptionnelles, sa marge de manœuvre est minime.

Point n’est question de dirigeants charismatiques voulant entraîner le corps social dans des directions ambitieuses et aléatoires, comme cela se pratique chez d’autres, ni d’un quidam plébiscité par de paisibles allocataires d’eau se mettant à rêver de convoler avec la “Circé Hollywood ”, dilapidant en un rien de temps le capital amassé en bons pères de familles par les poseurs de tuyaux.

En Allemagne, la perte de contrôle stratégique par la direction est en outre consacrée par la cogestion. La présence des représentants des salariés dans le Conseil de surveillance entérine le fait que le Directoire ne peut entreprendre de démarches aventureuses, tout étant annoncé, puis devant être avalisé au préalable, y compris par les représentants du monde du travail.

Aucune démarche ambitieuse de développement, ni courageuse de repli n’est possible dans l’absolu, ou en tout état de cause sans négociations/amendements qui font différer les décisions et font perdre du temps. Par ailleurs, comme on aura dévoilé ses décisions avant de les mettre en œuvre, cela va largement nuire à leur efficacité.

Cette dimension des jeux de pouvoir fait que chacun doit gérer son entreprise en bon père de famille, à moindres risques et à moindres frais pour les employés. Elle fait partie de l’éthique générale des grandes entreprises, mais elle imprègne aussi l’ethos général de l’ensemble du corps social.

A la base, au niveau d’un entrepreneur individuel, il est clair que la propension à reprendre les rênes du pouvoir peut exister, mais cela sera cependant perçu comme une procédure d’infraction.

Pour humaniste qu’elle soit, la démarche est devenue un handicap en ces temps aléatoires, où il faut fréquemment prendre des décisions dans l’urgence. Nous analyserons plus largement la portée de cette conséquence dans le chapitre consacré aux “ conditions du changement social ”.

La situation est telle que la hiérarchie allemande des grands groupes s’est entichée de séminaires sur le thème de la vision afin de pouvoir récupérer un peu de marge de manœuvre en transcendant la stratégie elle-même.

Les entreprises sont littéralement obligées de former les hommes pour les sensibiliser à la perspective de devoir se départir de la routine et d’accepter des choix contraignants.

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