En matière de Stratégie – les acteurs économiques ont deux options :
1- Optimiser les choix stratégiques, commerciaux, financiers… par la recherche de la productivité, laquelle passe par la spécialisation pour accéder à la fameuse “ courbe d’expérience ” et au développement structurel, c’est-à-dire à la croissance en termes de taille, génératrice d’économies d’échelle, à travers une démarche que nous nommerons le productivisme.
Les économies d’échelle sont sensées permettre la domination par les coûts selon le concept du Boston Consulting Group (le coût unitaire d’un produit diminue de 20 à 30% chaque fois que double sa production cumulée depuis l’origine).
Il s’agit d’être incontournable, de gagner des parts de marché de plus en plus importantes, de croître pour occuper le terrain, dans une logique monopolistique.
Cette question de “ l’effet de masse ” est récurrente dans la pensée humaine, encore qu’à l’origine elle portait essentiellement sur les questions de stratégie militaire. Désormais les organisations économiques adoptent aussi ce comportement.
2- Augmenter son libre arbitre en conservant une grande polyvalence. Il est évident que toutes les catégories de populations humaines ne réagissent pas uniformément et que si certains prônent la productivité, qui leur semble être la voie moderne du salut économique, il en demeure beaucoup qui considèrent qu’il vaut mieux ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et optent pour la polyvalence qui a ses avantages propres, la souplesse, la flexibilité, mais aussi ses contraintes, notamment l’incapacité à maîtriser totalement un segment de marché.
Il s’ensuit que les pratiques de management vont varier non seulement en fonction des préférences nationales des individus, mais aussi en fonction du degré de spécialisation et de la taille des entreprises. Michel Crozier parle à ce propos de “ contingence structurelle ”.
Spécialisation ou polyvalence
En Allemagne l’individu veut impérieusement optimiser son énergie et augmenter son efficacité économique.
Dans un premier temps, il va orienter son action vers une forte spécialisation des hommes et des entités économiques dans le cadre de la division du travail théorisée par Adam Smith, pour aboutir à la fameuse courbe d’expérience devant permettre de se doter d’avantages compétitifs discriminants, de compétences distinctives, de “ points d’excellence ”.
Ce faisant, l’individu va généralement viser la connaissance parfaite d’un métier, d’un spectre de compétences, restreint certes, mais totalement maîtrisé. Le fameux core business et la logique du pure player deviennent une pratique intuitive et spontanée. La diversification sera généralement faible et si elle existe, elle portera essentiellement sur des métiers connexes ou complémentaires.
L’entreprise pratique de la sorte, mais aussi l’individu à titre personnel.
’Dans d’autres environnements économiques, notamment en France l’homme ne va pas se laisser enfermer dans une discipline réductrice quelle qu’elle soit. Il privilégiera son libre arbitre.
Sur le plan stratégique, l’individu ne voudra pas s’enfermer et son aspiration à la diversité va essentiellement le conduire à poursuivre toujours et encore un objectif de polyvalence. “ Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ”, dit le dicton populaire qui est communément accepté comme une évidence. Les hommes aspirent à mener de front des projets concomitants, à avoir plusieurs fers au feu.
Dans cet environnement, l’entreprise est souvent fortement déspécialisée au motif légitime de diversification. Elle pratique le développement de savoir-faire multiples, est active dans plusieurs Domaines d’Activité Stratégique (DAS), opère plusieurs couples produit/marché…
L’innovation est considérée comme un facteur positif.
Outre la création endogène, c’est-à-dire fruit de ses propres recherches et cogitations, les individus sont aussi formidablement intéressés par les apports exogènes et cherchent à profiter au maximum des “ opportunités de diversification ” offertes par l’environnement.
Cette démarche “ ouverte ”, cette constante disponibilité, a pour conséquence un formidable opportunisme. Elle suscite généralement une forte créativité, est source d’une réelle souplesse et d’une grande flexibilité, qui sont des avantages certains en des temps aléatoires comme aujourd’hui, où “ l’avenir n’est plus ce qu’il était ”.
Elle est cependant aussi intrinsèquement “ aléatoire et discontinue ”, car l’individu est susceptible de tout remettre en jeu à tout moment, une idée pouvant en évincer une autre et une opportunité chasser la précédente en autant de ruptures de chaînes d’action qui peuvent entraîner une grande perte d’efficacité.
„L‘acteur n‘a que rarement des objectifs clairs et encore moins des projets cohérents. Ceux-ci sont multiples, plus ou moins ambigus, plus ou moins explicites, plus ou moins contradictoires. Il en changera en cours d‘action, en rejettera certains, en découvrira d‘autres chemin faisant, voire après coup, ne serait-ce que parce que des conséquences imprévues et imprévisibles de son action l‘obligent à „ reconsidérer sa position „ et à „ réajuster son tir „
Michel Crozier, Erhard Friedberg : L‘acteur et le système, page 56
Les incidences du système éducatif
La formation est, après le milieu familial, le facteur essentiel de “ calibrage culturel ”. C’est un déterminant social-économique majeur dans la relation de l’homme à l’univers économique, car au sortir de la formation initiale, sa “ vision de l’univers ” sera généralement largement construite.
Dans certains environnements notamment en France, les hommes veulent dépasser les contingences matérielles, ne pas être réduits aux activités mécanistes. Ils tendent vers la compréhension générale du monde dans une logique tout à fait Pascalienne qui vise à l’intelligence du “ tout ”. Les hommes privilégient les orientations ouvertes non réductrices permettant d’évoluer, comme pour échapper aux lois de la détermination et ouvrir leur registre de choix et leur libre-arbitre.
La dimension pratique des choses devient secondaire, triviale même.
Ils vont généralement aspirer au savoir encyclopédique et, pour ce faire, adopter une formation généraliste à l’instar des Grecs anciens qui optaient pour des enseignements comportant certes des mathématiques, mais aussi la sagesse et l’astrologie et accessoirement un peu de médecine…
„Moins l‘être sent le nécessaire, plus il s‘habitue à tout vouloir éclairer, plus l‘être éveillé calme sa phobie par la causalité. “ Oswald Spengler Le déclin de l‘Occident Tome 2 P96
Il s’agit d’une approche ouverte des choses, visant une culture générale large, embrassant l’univers. L’individu se veut “ polyvalent/generaliste ”.
Peu optent pour une formation strictement technique, choix réducteur, et lorsqu’ils le font, ils vont rechigner à une trop grande spécialisation pour chercher à se garder un horizon ouvert, et se voudront polytechniciens.
“ Je me dis : commençons par me faire un magasin d’idées, vraies ou fausses, mais nettes, en attendant que ma tête en soit assez fournie pour pouvoir les comparer et choisir. Cette méthode n’est pas sans inconvénients, je le sais, mais elle m’a réussi dans l’objet de m’instruire. ” Jean-Jacques Rousseau, Confessions Livre VI,
Ils deviennent des collectionneurs d’idées, voudront embrasser tout le savoir humain et, comme Jean Pic de la Mirandole en son temps, emmagasiner un maximum “ d’idées ”, un maximum de “ vérités ”, afin de pouvoir trier parmi les modules conceptuels qui leur sont proposés et ne retenir que ceux qui leur conviennent, voire les arrangent, et construire leur “ Weltanschauung” (conception du monde) propre.
Cette formation ouverte contribue à la souplesse intellectuelle des êtres et induit de façon concomitante une forte réticence à la spécialisation perçue comme réductrice de libre arbitre.
En Allemagne les hommes vont privilégier les orientations professionnelles utilitaristes. Ils auront rarement la prétention de vouloir entrer dans “ l’intelligence globale de la marche de l’univers ” et opteront généralement pour des métiers certains, sûrs et sécurisants, du tangible en somme.
Pour ce qui concerne les Allemands, très tôt c’est-à-dire dès le lycée, les gens entament des formations spécialisées très poussées. Si en France on étudie parallèlement une dizaine de matières de la maternelle jusqu’en terminale, en Allemagne on va très vite se spécialiser. La spécialisation sera de plus en plus forte au risque de produire des compétences très réductrices.
Quand on est ingénieur on est ingénieur de quelque chose. Le profil du type Ingénieur des Arts et Métiers ou Ingénieur de Polytechnique ne correspond pas aux attentes des Allemands, car il s’agit d’avoir une spécialité, de devenir un spécialiste.
La logique même de la spécialisation fait que les individus se bornent à un champ de connaissance restreint, ce qui dans la pratique les contraint à la coopération avec autrui pour faire avancer leurs affaires communes.
Etat des lieux du développement structurel des entreprises
Dans certains pays on rencontre une prolifération de petites structures, une économie dispersée.
„Tout le monde reconnaît l‘insuffisance de taille des entreprises françaises. Mais on a tendance à croire que leur faiblesse tient à leur petite taille, alors que c‘est en fait exactement l‘inverse : c‘est parce qu‘elles n‘ont pas la capacité organisationnelle nécessaire qu‘elles sont incapables de croître.“ Michel Crozier La société bloquée Page 203
L’économie italienne est encore plus significative à cet égard.
En fait, la PME est un état d’esprit encouragé par l’approche économique ambiante.
La perception de l’entreprise est sourcilleuse et l’économie toujours sujette à interrogations. Elle n’est jamais totalement en odeur de sainteté et ce, quels que soient le style économique et l’appartenance politique des acteurs portant une appréciation à son propos.
– Pour certains, il est évident qu’ils ont décidé dans l’absolu, par dogme, que l’univers du travail relevait nécessairement du “ mal ”.
– Pour les autres, pour ceux qui n’affichent pas cette option par principe, l’entreprise reste fondamentalement, malgré tout, placée sous l’œil farouche de la suspicion. A l’occasion d’un récent “ Salon des entrepreneurs ” un politicien de droite faisant une allocution, crut motivant pour les troupes présentes de dire que chez lui “ l’entreprise n’était pas une pestiférée et qu’elle pouvait venir à lui ” ! Comme quoi, même quand ils se veulent positifs, ils ne peuvent s’empêcher de relativiser leur enthousiasme et généralement M. Freud bondit, brandissant le piège du lapsus.
Marx à raison quand il affirme : “ les conditions matérielles de l’existence sont le moteur de l’histoire”
Pour illustrer ceci, il n’est que de faire un comptage des entreprises en prenant pour critère de référence la taille.
Entreprises industrielles 2015 | Deutschland | Frankreich | % |
< 99 | 112.047 | 28.689 | 25 |
+ 100 – 200 | 5.630 | 1.439 | 25 |
+ 201 – 500 | 3.317 | 968 | 29 |
+ 501 – 1000 | 915 | 302 | 33 |
+ 1.001 – 5000 | 521 | 208 | 40 |
+ 5.000 | 78 | 25 | 32 |
Total : | 122.508 | 31.631 |
(sources : bases de données similaires, Astrée en France et Markus en Allemagne)
Klein aber fein dit un dicton allemand. L’expression est totalement inadaptée à la pratique quotidienne, car dans ce pays on favorise essentiellement la constitution de grandes organisations économiques.
En langage globalisant, c’est-à-dire en anglais, on dirait que les entreprises visent à devenir des Pure and global players (terminologie que certains reprennent allègrement avec la ferme intention d’en parler toujours et ne le pratiquer jamais, et que d’autres mettent en œuvre intuitivement). En Allemagne on dira simplement que la recette est fondée sur la dualité de Nische + Leadership.
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