Organisation de réunions et prise de décision en Allemagne

Posté le | Par Gilles UNTEREINER

Finalités de la réunion

D’une manière graduée, les Anglo-Saxons, qui ont beaucoup travaillé la question, relèvent diverses finalités à une réunion.

La distribution d’instructions

Le responsable décide et informe ses subordonnés de ses décisions. C’est la forme d’autorité la plus strictement patriarcale. Le cas échéant, le responsable s’efforcera de “ vendre diplomatiquement ” ses décisions à ses subordonnés.

La concertation

Le responsable présente ses idées et demande des avis et recommandations, manière de prendre en compte l’expérience des opérateurs, sans cependant se tenir lié par les avis exprimés.

La négociation

Le responsable présente ses idées et demande des avis et recommandations, manière de prendre en compte l’expérience des opérateurs tout en acceptant l’amendement de ses propositions en dialogue avec les opérateurs.

La participation

Le responsable présente les problèmes, fixe une marge de manœuvre et demande au groupe de proposer des solutions multiples, parmi lesquelles il en choisira une. Le groupe a une grande capacité d’influence, car il est autonome dans le choix des options qu’il présente.

L’autonomisation

Le responsable fait fonction de coordinateur et laisse le groupe chercher ses solutions et prendre ses décisions. Forme participative la plus absolue, requérant non seulement des acteurs responsables, mais encore une discipline de groupe rare. Elle peut a priori apparaître comme une forme idéale, à la réserve près suivante : les solutions proposées sont généralement fondées sur le plan des intérêts du groupe opérationnel qui les émet, pas forcément sur le plan de la stratégie d’ensemble de l’entreprise. La rationalisation des choix budgétaires n’y trouve pas nécessairement son compte comme on l’a vu plus haut.

Dans les pays individualistes telle la France la décision est généralement prise de manière souveraine par les titulaires de l’autorité. Si réunion il y a, elle sera plus vécue comme un moyen de recueil d’informations, de prendre la température, d’évaluer les rapports de force, que comme une instance de décision.

„Que la moitié plus un gouverne avec le consentement de la moitié moins un est une règle bien étrange, qu‘aucune société n‘a jamais pensé légitime, dans aucune civilisation autre que l‘Europe occidentale et les Etats-Unis depuis deux siècles. Dans la plupart des sociétés de format restreint, soit les chefs de famille délibèrent des intérêts de la collectivité pour arriver à une décision unanime, soit le chef dit la volonté collective du groupe après s‘être assuré qu‘elle est bien telle.“ Henri Mendras L‘Europe des Européens, Page 45

La réunion est aussi un moyen de diffusion des décisions déjà prises, un moyen de diffusion de l’information. Le gestionnaire d’équipe livre au groupe le fruit de réflexions mûrement réfléchies et largement avancées, qu’il cherchera à faire partager a posteriori. La décision aura déjà été prise, soit par un acteur unique, soit par un aréopage restreint, avant la réunion, en interpersonnel. Hinter den Kulissen (« dans les coulisses ») diront les Allemands avec une frustration conséquente.

Ce processus centralisé dans les mains de quelques « managers minute » et engagé au cas par cas permet une prise de décision très rapide.

Dans les pays communautaires telle Allemagne on veillera à ce que toutes les compétences concernées soient associées, car ce sont elles qui vont devoir préparer et prendre la décision. Rappelons qu’en Allemagne “ décider c’est convoquer les experts ”.

La participation est une obligation et la réunion devient le véritable moment de concertation, mais aussi de consécration de la volonté collective, la véritable instance de décision. Il y a réelle participation.

Dans cet environnement, la réunion est donc toujours un événement. Ce qui suppose une réelle tension. Konferenzen können den Kopf kosten oder die Karriere fördern (« une conférence/réunion peut conduire à faire tomber des têtes ou permettre de booster sa carrière ») proclame la publicité d’une chaîne d’hôtels vantant ses infrastructures.

Voici sommairement ce qui concerne la finalité d’une réunion. Il nous reste à analyser le fonctionnement des groupes constitués.

Nous examinerons les pratiques des uns et des autres à plusieurs égards :

  • la préparation de la réunion
  • la tenue de la réunion
  • la conclusion de la réunion

Préparation de la réunion

Ordre du jour

Dans les pays individualistes telle la France, comme il s’agit essentiellement d’échanges et de “ prendre la température ”, il n’y a pas forcément d’ordre du jour et si ordre du jour il y a, il sera généralement très “ouvert“, très élastique, comportant un énoncé de points généraux, de tous les thèmes de discussion en cours et que l’on pourrait être amené à examiner, le cas échéant, en fonction du temps disponible, de l’intérêt des parties prenantes à la réunion, de l’humeur en somme…

Il pourra même y avoir à l’ordre du jour un premier point consistant justement à “ définir l’ordre du jour ” !

Il pourra également y avoir le fameux “tour de table”, devant permettre à chacun de faire connaître et valoir ses “urgences”, voire d’apporter sa “nouvelle du moment”. De ce fait, même si un soupçon d’ordre du jour existait, celui-ci pourrait très vite être balayé par les propositions nouvelles avancées.

Dans cet environnement, il est déconseillé de ne pas pratiquer ce tour de table défouloir, car les participants n’auront de cesse de vouloir exposer qui leurs succès, qui leurs préoccupations du moment, et de chercher à “amender” l’ordre du jour en fonction de ceux-ci.

Comme la réunion n’a pas véritablement de vocation décisionnelle, chacun ayant conscience que de toute façon la décision ultime sera prise “ à plus haut niveau ”, et comme par ailleurs une décision peut toujours être inversée si un paramètre nouveau le requiert, les propos échangés n’engagent pas vraiment ceux qui les tiennent. L’exercice relève davantage du brain storming, consistant autant, sinon plus, à “ exercer sa créativité ” que sa rationalité.

Dans les pays communautaires telle Allemagne, la réunion est non seulement un moment d’information, mais aussi une instance de décision.

Une réunion est donc le moment d’exposer devant ses pairs sa position sur un point opérationnel particulier. Le spécialiste, le Fachmann, voudra impérativement avoir pu se préparer. Il ne prendra pas le risque de discourir sur des questions qu’il ne maîtrise pas à 100%. Il ne s’engagera pas sur une thématique non préparée de peur de se faire enfermer dans une décision qui ne lui conviendrait pas totalement “dass er festgenagelt wird”. Point n’est donc question d’entretiens informel à bâtons rompus.

Si l’on veut obtenir que le participant soit impliqué, il faut un ordre du jour très détaillé des points qui seront discutés et une liste des participants, sans oublier les intervenants externes, qui précise qui doit prendre position sur quoi. Il faut aussi, bien évidemment, avoir laissé du temps aux participants pour se préparer. Par exemple : envoi de l’ordre du jour 15 jours avant la réunion et récupération des prises de position de chacun des participants 8 jours avant pour distribution aux autres participants, de sorte que ceux-ci puissent prendre connaissance des propositions et aligner leur propres positions en fonction.

Si la préparation de l’ordre du jour est impérieuse, s’y tenir ne l’est pas moins. Celui qui dirige la réunion devra éviter tout débordement et toute digression, fussent-ils rendus nécessaires pour un motif d’urgence. Contrairement au Francais qui se sent d’humeur à broder sur toute problématique qui se présente, même et surtout si elle ne relève pas de ses compétences propres, lorsque l’on sollicite un Allemand de façon impromptue, il refusera généralement de s’engager sur un terrain qu’il ne maîtrise pas. Il bottera en touche au motif que ce point n’est pas inscrit à l’ordre du jour (War nicht vorgesehen) et, si l’on insiste, il pourra faire preuve d’une grande inquiétude et d’agressivité.

Maîtriser l’ordre du jour est donc un élément de pouvoir, car il permet de cadrer l’action et les décisions en fonction de ses priorités propres. La négociation de l’ordre du jour devient souvent une négociation en soi.

Cette façon très directive génère souvent un choc psychologique chez les individualistes tels les Français, qui sentent bien leur libre arbitre “ contraint par la méthode ” et peuvent éprouver le sentiment d’être agressé dans la mesure où l’organisateur de la séance aura pris les devants pour imposer sa perspective et ses solutions. Le sentiment d’être en train de se faire posséder peut entraîner une résistance forte.

Périodicité

En France une réunion peut être organisée ad hoc, chacun cherchant à solliciter le groupe en fonction de ses impératifs du moment.

En Allemagne, il faut au contraire ritualiser la communication et la programmer à échéances régulières et fixes en précisant les jours, les heures et les lieux choisis.

Ceci doit être fait tant pour ne pas perturber le fonctionnement de l’organisation par une réunionnite ad hoc chronophage, que pour se garantir que nul n’aura d’excuses pour dire qu’il n’avait pas pu se libérer et, le cas échéant, vouloir a posteriori contester, voire invalider les décisions prises.

Invitation à la réunion

L’invitation à la réunion est d’importance.

La logique relationnelle des individualistes notamment français les conduit à vouloir faire partager leur „actualité“ à un maximum de leurs pairs. Leur logique hiérarchique veut qu’ils cherchent à se faire valoir auprès de la hiérarchie et ils peuvent engager une démarche activiste pour occuper le terrain. En conséquence, ils tenteront de faire venir un maximum de participants. Principe relationnel oblige.

La logique opérationnelle des communautaires notamment allemands les conduit au contraire à ne vouloir inviter que les décideurs impliqués et eux seuls. Il faut donc n’inviter que les compétences utiles, c’est-à-dire effectivement concernées par l’ordre du jour.

En Allemagne on veille à inviter formellement tous ceux qui sont parties prenantes à une décision, faute de quoi elle ne serait pas valable. C’est toujours l’autorité rationnelle légale.

Au fur et à mesure que la décision progresse en intensité et conséquemment en parties concernées, on élargira le registre d’invitation, de sorte que le profil du groupe décisionnel, le “ Entscheidungsteam ” soit toujours en conformité avec la nature même du problème à traiter.

D’une réunion à l’autre, le groupe décisionnel peut évoluer, gagner en nouveaux participants (de nouvelles compétences) et en perdre d’autres dont le champ décisionnel aura été traité et avalisé.

Ceci indisposera les décisionnaires à autorité centralisée qui penseront que l’on cherche à noyer le poisson en multipliant à outrance le nombre des protagonistes en en faisant varier le panel. Ils auront le sentiment que si certains des acteurs précédents ne se présentent plus, c’est que manifestement le sujet ne mérite plus d’intérêt à leurs yeux. En fait, il n’en et rien. Pour eux les éléments qui relèvent de leurs compétences ont été traités, un point c’est tout.

Programmation et durée de la réunion

Lorsque l’on a un ordre du jour élastique, et, qui plus est, lorsque les intervenants peuvent être amenés à introduire de façon impromptue de nouveaux points à l’ordre du jour, la gestion du temps sera forcément aléatoire.

Lorsque l’on a un ordre du jour formel et bien structuré, on aura quelque chance de pouvoir cadrer les interventions et de les programmer de sorte que tous les points de l’ordre du jour puissent être traités.

En Allemagne, pour optimiser la réunion, on va bannir les pratiques discursives aléatoires. Chacun doit se conformer à son temps de parole attribué.

Une réunion sera donc l’objet d’une programmation temporelle stricte, le responsable d’un sujet étant sensé tenir son temps de présentation et le temps de questionnement strictement dédié à la validation des hypothèses présentées par lui, mais non à débattre sur le fond. Si la démonstration n’a pas été convaincante, elle est sensée donner lieu à des examens complémentaires et à une nouvelle présentation, pas une discussion à bâtons rompus où chacun pourrait apporter sa pierre, y compris pour ce qui est des schémas opérationnels ne relevant pas de leur domaine de compétence.

Commandez gratuitement le PDF de l’ouvrage 'Différences culturelles et Management'.  Cliquez ici pour voir le livre