Le non verbal, facteur de perturbation dans le franco-allemand

Posté le | Par Gilles UNTEREINER

Le ton d’une argumentation

Les individualistes tels les Français peuvent être amenés à pratiquer un ton dégagé, ne serait-ce que pour se mettre à la portée d’autrui, “ en phase ” avec l’autre, à le mettre en confiance par une attitude “ ouverte ” visant à “ rompre la glace » et faire en sorte que “ le courant passe ”…,  toutes expressions illustrant parfaitement l’état d’esprit du processus.

Voici des démarches relationnelles quasiment naturelles chez les individus qui privilégient l’harmonie et les relations interpersonnelles. C’est la quête d’empathie.

En Allemagne on a le sentiment que la vie même est un drame permanent, l’être en devient grave et sérieux, sinon tragique, et la décontraction n’est pas le style courant. Les attitudes peuvent être empesées, sinon carrément guindées, froides et austères, exemptes de toute trace d’émotion ou de sentiment. La communication est très retenue.

On semble considérer que s’ouvrir à l’autre c’est se fragiliser, c’est baisser sa garde, car on donne prise. Même entre gens qui se fréquentent de longue date, il s’agit de ne pas accepter l’engagement de liens interpersonnels fragilisants, ne pas se “ mouiller ”.

 Les hommes ont un intérêt strictement professionnel les uns pour les autres, et ne chercheront que modérément à enclencher des affinités privées. Ils vont, bien au contraire, cloisonner au maximum les différents univers de contact, créer des barrières psychologiques, constituer des systèmes de protection et éviteront de laisser borner le jeu des intérêts par des interrelations affectives, en somme pratiquer une forme de distanciation d’autrui.

La réunion se fera donc en atmosphère contrôlée, comme l’expriment les Allemands : Souverän und kompetent wirken (« donner l’impression d’être souverain et compétent ») ; Wenn man etwas Ernstes mit jemandem machen will, muss man ihn ernsthaft ansehen (« si on a une intention sérieuse, il faut regarder l’autre avec sérieux »)

Les affirmations verbales et l’information sont exemptes de toute emphase. Une argumentation trop rhétorique sera considérée comme du délire verbal et interprétée comme un acte manqué, un trouble de l’âme, qui suppose une réflexion sous-jacente, donc une entourloupe, un nuage de fumée destiné à détourner l’attention des problèmes de fond. Dans une rencontre professionnelle, un Français jugé trop “ présent ” dans son expression et dans sa gestuelle fut catalogué de Paradefranzose (« Français de parade »).

L’humour doit être utilisé avec parcimonie. Il est aisément confondu avec l’ironie qui déséquilibre et fait perdre la face.

On peut en déduire que si un Allemand se lance dans une longue diatribe, contrairement à la retenue normalement constatée, c’est qu’il n’est pas du tout certain de son fait, et que ses propos relèvent autant, sinon plus, de l’autosuggestion que de l’information.

Les attitudes corporelles

En France l’individualiste accepte le principe même de la multiplicité des rationalités et le fait qu’il puisse y avoir plusieurs vérités.

Comme en outre, la communication comporte souvent des approches rhétoriques à argumentations multiples, voire des approches dialectiques mettant en balance des argumentaires contraires, le pour et le contre, il est évident que “ l’auditeur/récepteur ” d’un message doit s’efforcer de décoder et, pour ce faire, de coller au plus juste tant au fond du message qu’à la forme de la transmission pour s’assurer de l’intention réelle du locuteur. Celui-ci doit donc s’efforcer de “ mettre en exergue les arguments ” qu’il veut véritablement faire passer, ce à quoi il croit vraiment, pour éviter qu’ils ne soient dilués dans la masse, voire invalidés par ses autres argumentations.

En conséquence, l’individu va souvent se faire acteur, utiliser une mimogestuelle (le geste et le mime) censée confirmer, appuyer le message de fond et contribuer à sa crédibilité et ce, surtout si l’on a quitté le champ de la stricte logique pour aborder celui de la rhétorique.

Dans la mesure où le discours “ brasse large ”, il faut que les moments forts soient appuyés de symboliques gestuelles pour les faire ressortir, mais aussi pour attester de l’engagement réel du locuteur.

La gestuelle sera émotionnelle, chaleureuse, accompagnant l’intention, amplifiant et “ démontrant ”.

 Les éléments vocaux, tels le timbre, l’accent, l’intonation, le débit, le rythme, seront énergiques, chaleureux, sensés entretenir l’attention de l’auditeur toujours susceptible de vouloir décrocher, voire interférer dans les propos du locuteur.

Il est évident que plus on est en univers polyvalent telle la France, plus il faut une cohérence absolue entre le fond du message et sa forme, à savoir les signaux visuels sensés l’accréditer, faute de quoi le propos est disqualifié.

“ Les stimuli visuels sont bien plus puissants que les mots. La compréhension du geste est intuitive, émotionnelle, immédiate, et même peut-être irrationnelle, alors que les mots doivent être filtrés par le cerveau avant d’être ressentis par tout le corps. ”  Dichter ernst : motivation et comportement humain, page 82.

 En Allemagne le propos est sensé être strictement factuel, logique, professionnel et on rencontrera plus souvent une grande sobriété des attitudes, une gestuelle modérée, limitée et de faible amplitude, ce qui donnera l’impression de gens formalistes, sévères et distants.

Distanciation interpersonnelle

La proxémie, c’est-à-dire la distance corporelle entre les personnes, est aussi d’importance. Chaque individu a son sens spatial, sa bulle personnelle invisible au sens animal de territoire, sur lequel les intrusions sont à proscrire sous peine de réaction.

Le Français pratique des gestes de sympathie et, symboliquement, il va vers l’autre, pratique un contact rapproché, cherche le contact humain, l’intimité, se rapproche de l’autre, dans certains cas allant jusqu’à l’équivalent du grooming à travers des contacts physiques explicites.

L’Allemand aime au contraire marquer les distances. Il évite l’envahissement de son espace, le contact charnel, repousse tout rapprochement physique, mais aussi les débordements relationnels, notamment le tutoiement immédiat qu’il considère comme une pollution.

Dans cet univers, les individus à proxémie rapprochée, à sympathie exacerbée, sont perçus comme des envahisseurs patentés.

Extrait de l’ouvrage 'Différences culturelles et Management'. Commandez gratuitement le PDF. Cliquez ici pour voir le livre