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Allemagne - La demande, le marché.... les marchés

Posté le | Par Gilles UNTEREINER

Extrait du livre "Le marché allemand aujourd'hui" Stratégie, vente et management
disponible chez https://bit.ly/2qnXt9y

Chapitre déjà publié : 
Stratégie de conquête pour l'Allemagne

Chapitre 2 : La demande, le marché... les marchés

Quoique voisins ; Français et Allemands déclinent des marchés totalement différents et ce, tant au plan industriel qu’au plan des biens de consommation.

Si les uns « vivent » et investissent avec ce qui reste, les autres « investissent » et survivent avec ce qui reste.

Malgré un pouvoir d’achat plus élevé de 20 %, lesAllemands ont une approche très frugale au plan des biens de consommation courante.

Les biens de consommation

Motivations d'achat de base des Allemands : la sécurité

Ils sont essentiellement soucieux d'accumulation de biens durables conditionnant la survie, d’accumulation d’actifs matériels tels que le toit, les moyens de locomotion etc..,  devant permettre de passer l'hiver. « Anschaffen » (se procurer des biens) est la norme.

Les termes magiques  sont : Eigentum (propriété), Geldanlage (investissement), Guthaben (avoirs), ...

Ils disposent d’une économie des plus florissantes et cependant cultivent à satiété leur « maladie du manque » tant individuellement que collectivement.

La quête douloureuse de la subsistance demeure  pour eux un facteur d’anxiété et de stress.

Les Allemands et les biens durables

L'aspect fonctionnel et utilitaire des objets prime. Les Allemands sont des consommateurs qui n'ont rien de frivole ni de futile. Leur relation aux objets ne sera ni hédoniste ni ludique mais essentiellement utilitaire.

Les critères de sélection, leurs motivations d'achat reposeront essentiellement sur 

  • l'utilité et la fonctionnalité,
  • la qualité et la fiabilité,
  • la durabilité des choses

 Utilité et fonctionnalité sont les motivations fondamentales d’un achat. Le consommateur n’est pas orienté vers le gadget et ne souhaite pas de sophistication hasardeuse des produits, pas de « Schnick-Schnack » (gadgets). Le consommateur et l’acheteur industriel ne seront ni l’un ni l’autre caractérisés par la recherche de la modernité.

Qualité et fiabilité "Qualität und  Zuverlässigkeit" sont les maîtres mots et l’obsession de la qualité va même aller à l’encontre de la recherche de nouveauté au point que le consommateur sera essentiellement prudent dans ses achats et s’intéressera prioritairement à des marques connues et reconnues.

 La durabilité est presque un impératif moral. La conscience de l’Homme du Nord lui dit « tu ne jetteras pas ». Il a le respect des choses et n’est pas un consommateur futile à l’instar de celui caractérisé par « l’American way of life ».

Les objets doivent pouvoir à assumer les assauts du temps. A défaut on aurait fait une "Fehlinvestition", un investissement non judicieux, une mauvaise allocation des ressources.

 Les individus éprouvent une réelle satisfaction à posséder des biens ayant résisté à l'usure du temps. Ainsi, un possesseur de voiture sera heureux d´en donner l’âge, et plus le véhicule sera vieux, plus il en sera fier, témoignage de son intelligence d´acheteur, mais aussi de sa capacité à entretenir, bichonner l’objet.

Nombreux sont ceux qui achètent des véhicules un peu particuliers, pour les mettre au garage, en les laissant vieillir tels de bons vins. Il s’agit là de la patine du temps comme élément de jouissance.

Ce n’est donc pas le dernier cri qui fait recette, mais l’acquisition durable dont le temps aura eu le loisir de témoigner du juste choix économique et du caractère avisé et sage de l’investisseur qui en a eu l’inspiration.

Consommation de standing

Toutes les sociétés occidentales sont sur un axe de développement qui les entraîne vers toujours plus d’attentes matérielles et de production industrielle. Plus une société est avancée dans cette évolution, plus l’argent s’exhibe, comme un glorieux attribut de la réussite sociale et plus les individus vont avoir tendance à vouloir « posséder » de même qu’à vouloir affirmer leur rang social par des éléments visuels de standing.

" Dans les démocraties, les conditions étant fort mobiles, les hommes ont presque toujours récemment acquis les avantages qu'ils possèdent, ce qui fait qu'ils ont un plaisir infini à les exposer au regard.... Dans la confusion de toutes les classes, chacun espère voir paraître ce qu'il n'est pas et se livre à de grands efforts pour y parvenir." - Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique.

Indépendamment de ce constat, plus un pays est citadin, plus l’entité sociale est large, plus l’individu aura besoin de se distinguer de la foule anonyme et plus le besoin de différenciation sera vivace.

"J'ai, donc je suis", telle sera la nouvelle devise de l'Homo Oeconomicus/Urbanus qui est en danger d’être entraîné vers une quête matérielle de plus en plus prégnante.

L’Allemagne étant un pays fortement industrialisé et essentiellement citadin, on y enregistre en conséquence un fort besoin de consommation de prestige, une consommation ostentatoire relativement marquée. La motivation d’achat « orgueil » va être particulièrement forte.

L’environnement du produit


Les produits étant intrinsèquement honorables, il ne faudra pas omettre de les mettre en valeur. Pour un bien de consommation, l’élément de valorisation sera l’habillage, c’est-à-dire un conditionnement d’excellente facture; une « Aufmachung » de prestige. Il est dit dans ce pays «  der Kunde kauft mit den Augen », ou le client achète avec les yeux.
Un bien peu conditionnable, tel qu’une voiture, sera valorisé par un environnement de vente, un garage particulièrement luxueux, mais aussi par l’accompagnement d’une documentation hautement valorisante.
De ce point de vue, l’investissement s’il n’est pas négligeable en France, est sans commune mesure avec ce qui se fait en Allemagne, où les documents d’accompagnement de voitures sont des ouvrages de collection et non de plats documents publicitaires.

Chronologie des motivations d’achat


Si la motivation d’achat « orgueil » est importante, elle demeure cependant toujours secondaire par rapport à celle de la sécurité. Un objet de standing doit toujours être en priorité un facteur de sécurité et présenter un caractère utile et fonctionnel, légitimant son acquisition de par sa caractéristique d’investissement, de « Geldanlage ».
Il sera relativement peu sensible au luxe épicurien ou « gratuit »  au sens de ces « petits riens », dont les Latins, et d’autres, sont si  friands.

Effets sur les comportements d'achat

Le prix des biens durables


Lorsqu’un achat à vocation utilitaire (voiture, habitat...) est sous-tendu par une motivation de standing, la valeur nominale d'un bien sera tout à fait secondaire et ce, au point que mesuré à l’aune de nos habitudes de dépense il y aura « démesure » eu égard à la perception que pourront en avoir certaines autres catégories de populations humaines moins accumulatrices.

 Ils en veulent pour leur argent et cherchent « Das Beste für mein teures Geld ». Ils ne considéreront pas comme illégitime d’investir de 30 % à 50 % de plus en valeur que nous ne le ferions, sous la condition que l’objet convoité soit sûr dans le fonctionnement courant et fiable dans le temps.

Une approche prudente et sélective : s’informer avant d’acheter

Matérialistes exigeants, conscients de l'importance et de la valeur des actifs matériels, en un mot de l'argent, ils ont l'obsession de l'achat utile, du juste achat et du juste prix, de la justification économique de leur achat. Le consommateur est vigilant. L'achat ne sera donc que rarement de caractère impulsif ou résultant d'un coup de foudre. La spontanéité n'est pas de mise. Il sera essentiellement réfléchi, calculé, comparatif...

Ils se renseigneront de manière exhaustive avant d'acheter.

A propos de toute chose on va avoir une approche rationaliste et scientifique. A l'égard d'un produit il va littéralement le démonter pour analyser ses fonctionnalités. Il veut tout savoir sur le produit, pour se rassurer, avant de l'acheter. Consommateur averti, consciencieusement, il fera une véritable étude de marché pour quelque acquisition que ce soit et pour quelque montant que ce soit, la finalité étant d’avoir la certitude d’avoir fait le juste choix.

 Il en résulte une lecture assidue des journaux de consommation du type Stiftung Warentest ou de média spécialisés et un fort intérêt pour une publicité particulièrement informative.

 Les produits connus et reconnus : le traditionalisme

Cherchant de la sécurité, le consommateur s’orientera de préférence vers des références connues ou reconnues.

Connues. Ce seront les marques à forte notoriété. « AEG, aus Erfahrung gut », (Reconnu bon par l’expérience) dit-on.

Reconnues. Il s’orientera aussi vers des produits reconnus par des tiers impartiaux, donc homologués par les différentes institutions spécialisées du cru.

En conséquence, il manifestera une réticence viscérale à l’égard des produits et services qui n’ont pas encore leurs référentiels sur le marché.

Conservateur, la nouveauté n’est pas vécue intrinsèquement comme un plus, ce qui ne sera pas sans poser problème à une entreprise étrangère désireuse de commercialiser des produits nouveaux sur ce marché.

 Il en résulte un marché très largement traditionaliste « sicher ist sicher » et donc très peu perméable à l’offre étrangère dans la mesure ou les valeurs connues  et reconnues vont nécessairement être d’abord autochtones.

Approche technicienne et de sécurité


Portés par la croyance mythique en la capacité de la technique, ils développent un fort penchant pour la technique comme moyen privilégié de répondre aux contraintes de l’environnement au point de toujours en « rajouter » pour l’élaboration des objets.  Leur fibre technicienne sera telle qu’elle les incitera à « la technique pour la technique » ce qui pourra même entraîner des phénomènes de « sur technicisation ».

L'instinct de sécurité, y pousse, et si ce n'est lui, la logique marketing exploitant l'instinct de sécurité.

Le Latin, « en retard par rapport à la question » car moins préoccupé par ces questions, sera fréquemment « suiveur ».

En fait, il ne sera pas avisé de chercher à faire opposition à la dernière mode, au dernier "dada" que les Allemands auront su inventer, sauf à prendre le risque de se faire disqualifier et rejeter. Le conformisme ambiant fait que lorsqu’une marotte est d’actualité, qu’elle soit fondée ou futile, rien ne sert de vouloir la contester ou la contrer, et surtout pas quand on est étranger.

Comme en règle générale, le marché est prêt à payer, il faut suivre le mouvement en attendant que, si exagérations il y avait, un jour le temps redonne droit de cité à la raison.

Principaux postes de dépense des Allemands

L'habitat


L'Allemand investit 40 à 50 % de plus au mètre carré que le Français, indépendamment du coût des terrains dont on sait qu'ils sont jusque trois fois plus chers.
 

Il y a quelques années, une grande société française de promotion avait lancé des programmes de construction en Allemagne, et n’arrivant pas à les vendre, les avait littéralement bradés. Elle s’aperçut ultérieurement que les Allemands les avaient achetés uniquement pour le gros œuvre, car ils avaient la plupart du temps changé les éléments d’huisserie et les finitions qui ne leur convenaient pas

L’espace étant de plus en plus rare, le terrain devient de plus en plus onéreux et le logement moyen commence d’ailleurs à être hors de portée pour la plupart des bourses, à tel point que moins de la moitié des Allemands sont propriétaires de leur logement, contrairement à leurs homologues Français.

Qu’ils construisent ou louent, l’aménagement de leur intérieur, de leur « Heim » sera conséquent. Ils n’hésiteront pas à investir de manière massive dans les éléments de décoration, mais également dans les locaux techniques que sont la cuisine, la salle de bains, etc..

La voiture


Le parc automobile est impressionnant alors que le  pays à un réseau routier surchargé et sur  lequel  il n’est quasiment plus possible de rouler à plus de 100 km / heure en moyenne.

  • Plus de 20 % du parc automobile ouest-allemand relève de la catégorie haut de gamme, contre moins de 10 % pour la France.
  • Près de 50 % du parc automobile relève de la classe moyenne et moyenne supérieure contre moins de 30 % pour la France.
  • Moins de 20 % du parc automobile relève du bas de gamme contre plus de 40 % pour la France.

La voiture est non seulement l’élément de différenciation, le facteur de positionnement social majeur, mais aussi un des derniers espaces de liberté individuelle dans un pays fortement policé et conformiste, aussi relève-t-elle d’un véritable culte. Elle est non seulement un fait de civilisation, mais littéralement l’emblème de cette civilisation.

Il est intéressant de constater qu’à propos de la voiture, ce grand symbole du monde moderne, les Allemands communiquent sur la technicité et les performances, les Français sur le style et l'habitacle. D'un côté, sécurité et orgueil, de l'autre,  confort et sympathie. Les uns s'intéressent aux P.S, aux « Chevaux-vapeur », les autres aux volumes, à l’espace disponible. 

D'un côté des valeurs d'action, mais aussi d’affirmation de soi, des voitures qui se veulent "sportlich" dynamiques, (toute marque propose un "Sportpaket" dont les consommateurs sont friands). De l'autre côté des valeurs relationnelles, donc des voitures cocons, des "espaces" de quiétude, de convivialité et d'échange ou des voitures « sympathiques » et rigolotes.

 L’achat d’une voiture revêt une approche financière extrême. On investira la plupart du temps à la hauteur maximale de ses possibilités financières, à l'extrême limite de ses capacités budgétaires, rang social oblige. Ceci se fera dans une totale légitimité compte tenu du caractère d’investissement de l’acquisition. A la limite « plus c’est cher, plus c’est bon ».

Cet « actif de statut » sera personnalisé au point de chercher à le munir de plaques d'immatriculation comportant les initiales de son détenteur. Le frisson ultime.

Sécurité oblige, si théoriquement il s’agit de pouvoir rouler à grande vitesse, dans la pratique les conducteurs observeront une grande prudence. Leur comportement routier est fortement empreint de sécurité. Le mot d'ordre est "Vorsicht". Rouler doucement, piler dès que le feu est orange, se ranger 600 mètres avant les rétrécissements de la route, se ranger tout de suite dans la bonne voie de circulation, tout est à l'avenant… Il  est évident que le mode de circulation latin et en particulier le chaos général de la place de l’Etoile à Paris représente le stress ultime pour L’Allemand.

Signalons in fine que le fait que la voiture soit un élément de positionnement social, implique un rang automobile pour chaque catégorie sociale. A chaque rang son auto. Relativement à la voiture, il ne fait pas bon avoir l’air indigent. Tant pour ce qui concerne les relations « externes clients fournisseurs », que les relations « internes ou hiérarchique » l’autorité se doit de tenir son « rang automobile ». Il ne faut pas déroger aux attributs de son niveau social si on veut bénéficier du respect. 

Un individu à rang social élevé se doit d’avoir un véhicule correspondant « à son niveau », sinon il déroge aux règles et risque de se voir vertement interpellé. Ainsi, le Président du Vorstand d’un grand groupe allemand qui s’était intéressé à une voiture francaise  se vit sollicité par ses collaborateurs au motif que si lui allait rouler dans une voiture aussi peu « Premium », tous les autres allaient devoir rétrograder leur propre niveau automobile.

Il est amusant de constater qu’en France il en va de façon totalement inverse.

Ainsi une entreprise française diffusant des produits industriels, constata que dans un secteur commercial spécifique les clients négociaient les conditions avec une fermeté inhabituelle, s’interrogea sur les « particularités régionales du marché », pour s’apercevoir que le commercial local roulait en Porsche, ce qui manifestement amenait les clients, constatant son apparente bonne fortune, à interpréter que celui ci, donc également sa société, gagnaient trop d’argent.

Pouvoir d'achat

A ce stade il convient de s'interroger sur la réalité du pouvoir d'achat des Allemands et son affectation. A cet égard, les préjugés sont nombreux. On se représente fréquemment l'Allemagne comme un Eldorado, un univers où les ressources financières disponibles seraient telles que l'on pourrait tout se permettre en termes de politique produit/prix. La réalité vient contredire cette image d'Epinal.

Dans les faits, le pouvoir d’achat moyen des Allemands n’est supérieur que de 15 % de celui des Français. 

Le fait que l’on s’illusionne généralement sur la richesse vive disponible est dû à un effet de prisme déformant la perception de la réalité.

Comme les Allemands investissent et amassent des biens durables sans trêve, cela a pour effet de leur permettre de constituer un acquis capitalistique formidable et notoirement visible. Il s’agit là tant du parc automobile que de l’immobilier.

Les Allemands et les biens de consommation courantes FMCG (Fast Moving Consumer Goods)

La réalité de la consommation courante

Ayant largement mobilisé leurs moyens pour le « survivre » et le « standing », ayant beaucoup investi, il est évident, qu’à budget plus ou moins équivalent au français, ils n’ont plus guère de disponibilités pour le « vivre » à la latine. Le quotidien est astreint à la portion congrue et pour ces postes de dépenses l’Allemand sera tenu de faire des  « Abstriche » c’est-à-dire des arbitrages.

Il n’est point question ici de consommation sophistiquée et hédoniste ou de quête festive au point d'en développer un art de vivre à l'instar de la France, qu’au demeurant ils envient. La formule « Leben wie Gott in Frankreich » « Vivre comme Dieu en France », en témoigne.

Pas de dépense inutile. La consommation courante, considérée comme accessoire, est largement reléguée au second plan. La motivation d’achat est « Argent », correspondant au  prix le plus bas. Tout produit est l’objet de la définition d’un prix psychologique au-delà duquel le consommateur ne déclenchera pas l’achat. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine alimentaire ou la contrainte prix est extrême. Le consommateur en « veut  beaucoup » pour son argent.

Comme en outre plus de 90 % de biens de consommation courante sont diffusés en self service et qu’il y a peu de conseil sur le lieu de vente susceptible d'aiguiller le consommateur vers des articles qualitativement élevés, en phase d'étude de marché il importe donc de repérer les Prix optiques qui, pour la consommation courante, sont tous à considérer comme des Prix psychologiques impérieux.

On constatera une fourchette très restreinte entre les offres des divers compétiteurs et il n’est guère possible pour un nouvel arrivant de se situer au-dessus des prix usuels du marché.

La qualité


Autant pour les Allemands, la notion de qualité est une réalité d’évidence lorsqu’elle est rapportée aux biens durables, car sur ce plan ce sont des « extrémistes de la qualité », autant il ne faut pas se laisser abuser, ne pas se leurrer sur les éventuelles revendications qualitatives concernant les biens de consommation courante.

Le concept de qualité ne doit en fait pas être interprété dans une perspective latine qui voudrait qu’un produits noble n’intègre que des composants nobles eux aussi, mais doit être perçu comme « irréprochable du point de vue des contraintes réglementaires du moment ».

La recherche de prix bas et dans les faits souvent du plus bas, se fait quelquefois au détriment de la qualité.

Conclusion de l’analyse de la demande allemande

Lorsque l’acquisition porte sur un objet sous tendu par les motivations d’achat de « sécurité » ou d’« orgueil », le consommateur dira « ich will  das Beste für mein teures Geld » (je veux ce qu’il y a de mieux pour mon argent si cher) et sa nature l’inclinera à éviter de prendre le risque de se tromper. Ainsi il optera pour le produit connu, le fournisseur connu, le fournisseur local...traditionalisme oblige,

S’il s’agit d’un bien de consommation courante il exigera en général « das Billigste für mein teures Geld » (ce qu’il y a de moins cher pour son argent si cher) et compte tenu de l’ouverture du marché l’offreur se trouvera en concurrence avec l’offre mondiale. Ceci entraîne une difficulté considérable à l’introduction d’une nouvelle marque ou d’un nouveau fournisseur.

Contraintes inhérentes à la forme de la distribution

En France, la distribution est caractérisée par les hypermarchés, ces énormes surfaces attrape-tout avec 40 000 voire 100 000 références articles, voire plus, que leur promotion incite à l’élargissement et à la diversification des linéaires, ce qui les amène à une ouverture permanente à la nouveauté, donc à une grande perméabilité pour l’offre internationale.

 En Allemagne, il n’en va pas de même. La distribution y est caractérisée par le supermarché, point de vente à gamme restreinte, qui a l’obligation de la sélectivité et à une pratique d’offre plutôt restrictive dans la mesure où il n’y a pas de linéaires pléthoriques et extensibles à souhait. Les distributeurs allemands ne cherchent donc pas à gonfler leurs gammes au motif de tout avoir. Bien au contraire, celles ci sont serrées et toilettées de sorte à ne recenser que les « produits absolus » que seront les produits à forte notoriété et les produits basiques à forte rotation.

Si, de par sa structure même, le marché français attire la nouveauté, si tout le conditionne à l’ouverture, le marché allemand, pour sa part, serait plutôt traditionaliste et peu perméable.

Compétitivité et positionnement de l'offre française

Les données du marché allemand étant ce qu’elles sont, il est illusoire d’attendre une évolution sensible à moyen terme.

En fait, avant comme maintenant, globalement l'Allemand investit d'abord et vit avec ce qui lui reste. L'ordre de priorité est inverse par rapport au Français qui exige d'abord une certaine qualité de la vie et investit ce qui lui reste.

De ce fait l'offre française  doit généralement se reconsidérer, inverser sa formulation, si elle veut trouver preneur en Allemagne.

Pour les biens de consommation courante il convient de jouer sur le VOLUME/ PRIX et ne pas se situer au-dessus du prix général du marché sachant que développer une stratégie volume-prix pour battre les Allemands sur leur terrain, voire entrer en confrontation avec l’offre mondiale, laquelle est très largement présente en Allemagne, n'est pas une chose aisée.

Pour les biens durables ou de standing il s’agit de jouer sur la  DIFFERENCIATION par le produit et la qualité, de veiller à apporter un « Plus produit » et faire mieux que la concurrence.

Schéma général d'évolution des marchés industrialisés

Indépendamment de l’observation stricte du marché allemand, il s’agit d’inscrire celui-ci dans  l’évolution historique des marchés occidentaux.

 Historiquement, il y avait partout trois niveaux de marchés, à savoir :

  • le  haut de gamme
  • la  moyenne gamme ou gamme de produits dits d'un bon rapport qualité/prix
  • le bas de gamme

On constate que partout les marchés fuient vers le haut et vers le bas et ce, au détriment de la gamme moyenne.

 Certains auraient tendance à diagnostiquer que c’est du fait de la crise. Certes, si celle-ci y est pour quelque chose, dans la mesure où elle rend tous les consommateurs plus soucieux de l’avenir et les incite à acheter des biens ayant une durabilité plus grande et à contrôler leurs dépenses inutiles. Mais il n’en demeure pas moins que nous sommes aussi sous l’influence du phénomène d’industrialisation, qui amène le consommateur à engager de plus en plus de dépenses à caractère ostentatoire.

Le triple effet de la crise conjugué aux nouvelles options d’accumulation  et à la logique ostentatoire pousse le consommateur à investir dans des éléments durables et/ou de standing, ce qui l’oblige à des restrictions budgétaires pour sa consommation courante. Naturellement « investisseurs » les Allemands ont généralement privilégié le haut de gamme pour les achats utilitaires ou de standing et très rapidement poussé la consommation courante vers le niveau minimal. Il faut donc de plus en plus se positionner soit tout en haut, soit tout en bas de la gamme.

Les biens industriels

Pour les biens de consommation nous avons constaté deux niveaux de marchés aux extrêmes l’un par rapport à l’autre, répondant à des aspirations totalement différentes en termes de motivations d’achat.  « Sécurité »et « Orgueil » d’une part,  en opposition au paramètre « Prix/ Argent » d’autre part. En ce qui concerne la demande industrielle nous constaterons le même phénomène.

Motivations d’achat

Les biens d'équipement

Une industrie performante a nécessairement besoin d’équipements « must », du dernier cri de la technique mondiale pour maintenir la productivité.

La motivation d'achat va être la « Sécurité » au sens le plus large :
- la sécurité au sens strict, c'est-à-dire équipements sûrs permettant d'éviter les accidents,
- la sécurité au sens d'équipements sûrs dans leur performance, leur fiabilité, leur qualité et le service après-vente.

Le paramètre prix importe, mais il est secondaire par rapport à celui de la qualité.

Matières premières/demi-produits et sous-traitance

Une production positionnée haut de gamme requiert bien évidemment des composants et des éléments technologiques eux-mêmes à positionnement haut. Les critères d’achat seront :

  •  qualité,
  • suivi et respect des délais par le fournisseur,
  • ensuite viendra le prix.

L’Allemagne est que sa capacité à valoriser un fort  différentiel technique, lui permet de faire fortement rémunérer le produit de ses industries d’équipement par le « plus technique » apporté.

Le label technicien "made in Germany" permet de valoriser ses productions en les surfacturant  de + 20 à 30 %.

Fournitures courantes pour l’industrie

Dans tout marché existe une catégorie d’approvisionnements non stratégiques. Sur ce plan, on risque généralement de retrouver une demande moins disante en termes de prix. Les critères d’achat seront :

  • argent (le prix)
  • confort/ commodité

Pour cette catégorie d’approvisionnement, c’est-à-dire le matériel standard ou les fournitures courantes, l’industrie aura peu tendance à se compliquer la tâche en s’approvisionnant directement chez les fournisseurs finaux, surtout s’il s’agit de petits volumes, et se contentera de passer par des circuits intermédiaires de gros.

Politique d’approvisionnement dans les branches à faible valeur ajoutée

En considération de sa capacité d’organisation, l’industrie allemande a non seulement engagé des axes de développement dans les domaines à haute technologie, mais elle s’est aussi tournée vers des productions plus conventionnelles, notamment l’agro-alimentaire et le textile où la valeur ajoutée est beaucoup plus tirée, ce qui revient à dire qu’elle y dispose de marges moindres.

Dans ces domaines, elle a su conquérir des positions commerciales conséquentes et a développé un savoir-faire considérable au point de devenir un véritable compétiteur pour les pays d’Europe du Sud qui, innocemment, imaginaient que ce domaine demeurerait leur chasse gardée. Comme il s’agit de produits à peu de valeur ajoutée, il est évident que toute la chaîne en amont du consommateur subit les conséquences des pratiques moins disantes du marché.

Les distributeurs n’ont guère de marge et l’industrie n’aura guère de moyens à consacrer ni aux investissements ni aux demi-produits. Dans ces domaines à valeur ajoutée tirée, il est clair que tout ce qui est dit généralement sur l’Allemagne ne vaut pas, ni en termes de recherche de qualité, ni en termes de fiabilité des relations et de moralité dans les affaires.

 

Extrait du livre "Le marché allemand aujourd'hui" Stratégie, vente et management
disponible chez https://bit.ly/2qnXt9y

 

 

 

 



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