Les systèmes de préparation de décisions ainsi que les modes de négociation peuvent varier. Pour les modalités de prise de décision, il va en être de même. Selon les systèmes sociaux elles seront plus ou moins consensuelles.
En France, en particulier dans les petites entreprises qui sont des univers où l’autorité est centralisée, la décision est souvent prise par le décideur “ en accord avec lui-même ”, point n’est donc question d’arbitrages entre les parties. La décision peut porter sur un nouveau pari et être ambitieuse, elle est souveraine.
En Allemagne l’individu est parfaitement conscient du fait que l’autorité, l’influence acquise sur les autres se fait aussi sous réserve que l’on accepte de se laisser influencer. Il sait que dans cet univers spécifique la capacité d’un dirigeant à acquérir du leadership est en partie sujette à un processus très complexe, au cours duquel le dirigeant doit se montrer ouvert aux demandes de ses collaborateurs en les faisant en majeure partie siennes ,– ce qui permet à ces derniers de “s’identifier” au décideur et à ses décisions. En conséquence, les décisions vont généralement chercher à limiter les risques, en s’assurant que dans l’exécution chacun pourra assumer et, conséquemment, tendre à l’unanimité.
Au-delà de la majorité simple au sens strict (Die einfache Mehrheit), le décideur cherchera à obtenir la majorité qualifiée (Die qualifizierte Mehrheit), à 75%. Cette recherche de la majorité qualifiée sera souvent cultivée à son paradoxe pour aboutir à une forme d’unanimisme, qui, s’il n’est absolu à l’instar des Asiatiques, tend cependant à rassembler les voix du plus grand nombre. Es ist wichtig, alle im Boot zu haben (« il est impératif d’avoir tout le monde à bord, ou d’accord »), ce qui exclut toute décision à l’arraché.
Une décision doit donc être mûrement réfléchie, évaluée, pesée, préparée, puis analysée, discutée, argumentée collectivement et, in fine, reportée si une position commune n’a pu être trouvée. A l’évidence, ce processus de maturation des décisions prend du temps et peut retarder beaucoup les choses.
Par ailleurs, si un intervenant fait valoir qu’il ne pourra pas assurer la mise en œuvre d’une décision, on va, la plupart du temps, rabaisser les ambitions collectives au plus petit dénominateur commun en recherchant des décisions minimalistes.
Cela permet d’éviter la plupart des risques, mais c’est un frein considérable à l’innovation. On ne dérogera à la démarche qu’en période de crise, et encore. Der Zwang, jedem Zugeständnisse zu machen, erschwert es, Innovationen duchzusetzen. Querdenker sind nicht erwünscht (« L’obligation de faire des concessions à chacun rend difficile la pratique de l’innovation. Les déviants sont malvenus ») dit un conseil allemand.
Permanence des décisions
Une fois prise, la décision doit-elle être intangible et gravée dans le marbre ou simplement esquissée comme sur le sable, considérant qu’il faut être flexible et que la prochaine marée va changer la donne ?
Encore une guerre de religion en perspective entre individualistes, tels les Français, et communautaires.
En France on semble considérer que rien n’est intangible et que tout peut être amendé. La théorie du chaos y est considérée comme une évidence. Il y paraît clair que l’ère du déterminisme économique, des lois, de la prévisibilité est en train de laisser place à un monde où règne l’instable, qui devient turbulent et qui laisse de plus en plus place à l’incertitude et au désordre.
“ La modernité est le mouvement plus l’incertitude ” Serge Ballandier : Le désordre. Claude Imbert dans un éditorial du Point constate que “ l’avenir n’est plus ce qu’il était ” et Montaigne, que l’on a déjà cité, écrit que “ le monde n’est que branloire pérenne ”. En conséquence, comme rien n’est certain, comme rien n’est définitif, toute décision dépend nécessairement des contraintes du moment.
Une décision consiste simplement en un “ constat des volontés ” à l’instant T, ce constat étant susceptible d’évolution en fonction des changements dans l’environnement du projet.
Si l’un des facteurs ayant conditionné le choix vient à évoluer, toute l’équation décisionnelle va nécessairement être influencée. Une décision est donc toujours contingente et susceptible d’amendements. C’est la loi de l’évolution, qui est la loi du monde. Quelque part les polyvalents tels les Français sont fondamentalement darwiniens. Rien n’est figé et, pour survivre, il faut continuellement s’adapter à travers un processus d’évolution perpétuelle.
“ In Frankreich werden feststehende Entscheidungen (auch strategische Entscheidungen !) oft wieder umgeworfen constate un Allemand (« en France, les décisions sont souvent remises en cause, même si elles sont stratégiques »).
En Allemagne, le processus de décision caractéristique est le résultat d’une importante préparation et d’un cheminement consensuel complexe. Aussi, ne veut-on pas, lorsqu’une décision est prise, remettre en cause les efforts initiaux, ni se discréditer en relançant le débat. Cela impliquerait de remettre à l’ordre du jour un problème auquel, théoriquement, une solution a déjà été trouvée dans le labeur et la raison. Relancer la discussion est un aveu d’erreur, ce qui est difficile à assumer dans ces organisations où le principe de rationalité est sensé n’avoir engendré que les meilleures décisions.
De ce fait, lorsqu’une mauvaise décision a été prise, on ne peut quasiment pas revenir dessus, et la peur de se déjuger par rapport à la hiérarchie va amener les individus à “ vivre avec ”, à dissimuler les dysfonctionnements pour qu’ils ne deviennent pas trop patents. La révision des décisions est difficile.
On dit néanmoins en Allemagne que nichts ist ständiger als der Wandel (« rien n’est aussi permanent que le changement »), mais, au final, Darwin ne séduit guère les Allemands et ils vont essayer de se soustraire à toute évolution et de figer les décisions. Pour eux, souplesse est versatilité : Was abgestimmt ist, ist abgestimmt (« Ce qui est convenu est convenu et on ne revient pas dessus »).
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