La dimension hiérarchique et la façon dont sont conçus les plans de carrière ont bien évidemment une incidence majeure sur la motivation et la fiabilité des hommes à l’égard de leur entreprise et, partant, sur la performance de l’action collective.
Partout on évoque “ l’entreprise citoyenne ”, on affirme que ce qui est important c’est le “ capital humain ” qu’il “ n’est de richesses que d’hommes… ”.
Qu’en est-il dans la réalité ? Nous allons relever des disparités irréconciliables entre les groupes humains.
Si en France nous avons un système d’éducation privilégiant largement le diplôme initial, ce n’est pas le cas en Allemagne.
Entrée dans l’entreprise en Allemagne
Il y a deux systèmes de formation en Allemagne : la filière scolaire et la formation duale, l’apprentissage.
La filière scolaire en Allemagne
L’éducation était une priorité du National Socialisme. Les milieux enseignants ont été une cible majeure des préoccupations du régime et ont été particulièrement encadrés, voire endoctrinés. Quelques-uns se sont révoltés, peu en proportion, ce qui fait qu’en leur qualité de grands clercs des idées, même s’ils n’ont pas suivi l’exemple d’Heidegger, qui fut un fervent du régime, ils le soutinrent, ne serait-ce que passivement. Au sortir de cette expérience douloureuse, l’autoritarisme fut répudié partout et particulièrement dans les milieux éducatifs.
Cela a produit un système de formation non coercitif, d’une tolérance totale, une formation secondaire largement à la carte, sans pression. Chacun choisit son rythme, ce qui fait que pour une même formation il n’est pas rare qu’il faille 3 à 4 ans de plus aux Allemands qu’aux Français. Il n’est pas rare, en outre, que les Abiturienten (les bacheliers) cherchent à acquérir pendant deux ans une qualification professionnelle dans le cadre d’un apprentissage, avant de reprendre des études générales à l’université. Les étudiants ne sont pas sous pression, bien au contraire, ils prennent leur temps, ce qui ne les habitue pas au stress.
De ce fait, la plupart du temps, les entreprises doivent astreindre les nouveaux embauchés à une longue période d’essai préalablement à l’intégration, de façon à vérifier les ressorts réels des individus et tester progressivement leur aptitude à supporter la pression.
La formation initiale présente cependant un avantage considérable : l’apprentissage du consensus. Les étudiants ne sont pas en situation compétition et on encourage le travail de groupe, la Teamfähigkeit comme on dit en Neu Deutsch, cet « allemand nouveau » qui intègre de multiples anglicismes et ne fait aucune opposition à l’intégration de vocables exogènes.
C’est encore et toujours la réduction du principe d’ego en faveur d’une pratique communautaire.
Le système d’enseignement a au demeurant entraîné une véritable mutation culturelle dans la relation de l’homme au travail. Si dans l’imagerie générale l’Allemagne est encore caractérisée par le stackanovisme d’après-guerre, dans les faits, la relation au travail a bien changé. Les premiers produits de la formation libertaire sont entrés dans le circuit économique à la fin des années 60, puis ont accédé aux rênes du pouvoir dans les années 80. C’est à cette époque que la mutation a eu lieu vers une moindre implication des hommes. Il est sûr qu’aujourd’hui le stackanovisme d’après-guerre n’est plus le lot commun, même s’il reste quelques Macher (« Activistes »).
S’il ne faut guère s’attendre à un “ engagement personnel ” à la hauteur de celui qu’on espère des individualistes tels les Français, il ne faut pas désespérer du système allemand, sa performance est ailleurs. Elle réside dans ses qualités d’organisation qui compensent largement le déficit d’énergie.
L’apprentissage en Allemagne
65% des jeunes Allemands entrent dans la vie professionnelle par l’apprentissage, système réputé et envié, et se contentent pendant deux ou trois ans d’une indemnité de stage d’environ 500 euros par mois.
L’apprentissage est organisé de façon décentralisée, sous la responsabilité technique et financière des entreprises. Il est contrôlé par les Chambres de Commerce et d‘Industrie ou d’Artisanat. Il met en œuvre une formation duale reposant sur le principe de l’alternance.
Chiffres clés de la formation professionnelle en France et en Allemagne
Ce système de formation a pour conséquence que les gens formés sur le tas, largement encadrés, ont peu d’autonomie. Leur champ de connaissance étant réduit et leur métier ayant été largement appris selon le système du compagnonnage, dans un contexte qui leur a enseigné une pratique professionnelle “ conforme à la tradition ”, ils sont généralement assez constants dans leurs choix professionnels. C’est positif sur le plan de l’optimisation de l’énergie, mais négatif sur celui des processus de décision dans l’entreprise. Tradition ne rime guère avec Innovation.
Rôle de la formation dans les processus d’intégration : l’entreprise apprenante
Nous évoquions déjà plus haut que dans nombre de plaquettes de sociétés il était affirmé “Nos richesses sont nos hommes”. Les entreprises capitalisent-elles véritablement sur leurs ressources humaines ?
En France, il semble bien que l’on investisse 2% de la masse salariale à cette fin, et encore avec force lois rendant obligatoire cette allocation de ressources.
Relativement à l’Allemagne, Mintzberg a observé que dans certaines organisations professionnelles, lorsque les tâches sont complexes et que la plupart des schémas d’action ne peuvent être programmés et insérés dans la procédure, on forme un maximum les hommes de sorte à obtenir des comportements normés et prévisibles. C’est là que s’engage ce qu’il nomme la standardisation des qualifications.
Pour accéder à une fonction, il faut à la fois une formation initiale et une formation continue intense destinée à maintenir le degré de qualification et de performance des individus.
Ce faisant, on responsabilise au maximum chaque acteur en lui donnant les moyens d’exercer ses prérogatives. Il n’y a guère de technostructure élaborant les procédures pour tiers. Chacun tour à tour est opérateur puis concepteur, décidant de ses objectifs et de ses propres standards d’exécution en fonction justement des normes inculquées à l’occasion des différents processus de formation.
C’est caractéristique des métiers hautement intellectuels où l’on ne peut tout prévoir et où, classiquement, on laisse une importante marge de manœuvre aux opérateurs. C’est le cas des métiers du conseil par exemple, mais aussi de cet univers requérant des interventions très spécialisées qu’est l’hôpital.
Ce qui est spécifique à l’Allemagne, c’est que ces comportements intellectuels ont été peu ou prou transposés au “ monde mécaniste ”, c’est-à-dire à l’entreprise industrielle.
Serait-ce la structure dont rêvent tous les opposants au taylorisme ? Georges Archier et Hervé Sérieyx en 1984 l’appelaient déjà de leurs vœux et la nommaient “ l’entreprise du troisième type ”. Celle-ci aurait banni le principe des ouvriers spécialisés, le cloisonnement entre les exécutants et les concepteurs ainsi que la communication descendant le long de la longue ligne hiérarchique.
Quoi qu’il en soit, en Allemagne, l’investissement en formation est conséquent.
Le taux oscille entre 5 et 8 % de la masse salariale et ce, sans obligation légale. Juste le consensus et la pratique communautaire. Le potentiel humain y est véritablement considéré comme la richesse fondamentale de l’entreprise qui capitalise sur ses salariés.
Il ne faut cependant pas se bercer d’illusions, ni imaginer un altruisme idéal. L’entreprise capitalise sur les savoirs opérationnels de ses hommes et il n’est pas question de demander une formation sur mesure, par exemple à telle ou telle langue exotique au seul motif que “ ça m’intéresse ”, ni de vouloir organiser des séminaires sous les tropiques parce que l’on y travaillerait plus efficacement.
Les formations sont essentiellement dispensées dans le cadre des nouveautés technologiques du domaine d’activité, dans celui des pratiques organisationnelles pour les cadres et, pour les autres salariés, il s’agit de “ formations au poste de travail ” destinées à garantir une exécution fiable des tâches qui leur sont confiées.
Celui qui accepte de se former, d’actualiser ses connaissances de Fachmann (« Spécialiste ») bénéficiera d’un plan de carrière à progression continue, la formation lui garantissant une prise en responsabilité graduée et l’intégration progressive de ses nouveaux rôles.
Les individus ne sont donc ni bloqués dans leur vie professionnelle, ni l’objet du “ Principe de Peter ” qui veut que chacun soit amené un jour à atteindre sa “ zone d’incompétence ”. Les salariés ne sont normalement promus qu’après l’obtention d’un certificat les qualifiant pour la fonction.
Cette formation sera largement organisée par les professions elles-mêmes, ce qui donne à l’individu la garantie de la “ maîtrise des pratiques professionnelles ” les plus actuelles et le conforte au niveau de son entreprise. Passé par une formation professionnelle assurée par des structures reconnues, le salarié sera non seulement considéré comme apte, mais en outre “ porteur de l’orthodoxie de la branche ”. En somme, un vrai “ Fachmann ” accrédité par la profession.
Il est clair qu’à force de formations de ce type, l’individu aura une forte conscience de ses connaissances, ce qui lui conférera une réelle capacité d’affirmation de soi quant aux questions relevant de sa zone de compétence. Il se montrera généralement extrêmement rigoureux quant aux schémas d’action mis en œuvre.
Dûment entraîné à la recherche et à l’application des pratiques idéales dans le cadre du “ Processus des cas ” il sera très difficile de le faire déroger aux principes de l’enseignement qu’il aura reçu.
Il est à noter que les entreprises allemandes sont dotées d’une fonction de Personalentwickler (« Responsable du Développement des Ressources Humaines») qui, si elle existe dans d’autres pays, n’opère pas en Allemagne pour les seuls « hauts potentiels », mais pour tout le personnel, du plus humble au plus talentueux.
Dans ce contexte, et dans une logique toute communautaire, l’entreprise cherche à professionnaliser progressivement tous ses salariés, ce qui fait qu’il n’y a pas de distinction entre des opérateurs exécutants et une hiérarchie en charge de l’organisation des tâches.
Ceci confirme la pratique égalitaire déjà constatée et dont on verra particulièrement les effets sur les schémas de progression de carrière.
On parle beaucoup d’entreprise apprenante, d’entreprise ascenseur social. Certains théorisent ces concepts, les affirment haut et fort tout en ayant pour objectif véritable, de façon inconsciente certes, d’en parler souvent, mais de ne pas nécessairement les mettre en œuvre. En Allemagne, c’est une réalité.
L’urgence de la reconstruction a bien entendu contribué à cette démocratisation dans l’entreprise, tous abdiquant quelque peu la prééminence individuelle au profit de la reconquista collective.
Processus d’intégration fonctionnelle et d’évolution hiérarchique
En France la progression de carrière va largement dépendre de la situation familiale et du tissu relationnel des individus. Les relations personnelles y sont importantes et les individus vont chercher à capitaliser sur des réseaux relationnels, à créer un capital relationnel. C’est, ici encore, une approche politique.
Lorsque compte-tenu de la taille de la structure et des niveaux de compétence requis, il faut promouvoir des éléments humains non issus du réseau, souvent familial, des dirigeants, la promotion peut se faire de manière “ interne ” ou “ externe ” par intégration d’éléments exogènes à tous les niveaux pour “ enrichir le corps social ”. La différence, l’œil neuf, est considérée comme un facteur de dynamisme et de renouvellement.
Lorsqu’elle est interne, la promotion est sensée se faire “ au mérite ”, en fonction des performances, quitte à ne pas respecter l’ancienneté. L’évolution professionnelle est relativement linéaire en termes de métier. L’individu capitalisant sur une filière de savoir.
Lorsque la société est caractérisée par des comportements élitistes, la promotion se fera essentiellement en fonction du diplôme initial de l’individu. Classé socialement par sa formation initiale, l’individu sait d’entrée de jeu à quel poste il peut aspirer et, corrélativement, à quel niveau hiérarchique il sera bloqué. La “ transgression ” sociale sera rare et la promotion interne faible. Quand elle intervient, elle repose largement sur le capital relationnel que l’individu aura su constituer. Toujours et encore l’approche politique.
En Allemagne, le salarié a bien évidemment des “ devoirs ”, notamment “ le devoir absolu de sûreté dans l’exécution des missions qui lui sont confiées ”, mais il a aussi des “ droits ” et parmi ceux-ci, le droit à une juste rémunération, mais aussi et surtout celui à la pérennité et à l’évolution, en quelque sorte le droit au développement dans la sécurité.
Celui qui remplit sa fonction, qui assume sa tâche, qui est opérationnel, est légitimé en tant que tel dans le corps social et sera titulaire d’une place dans la structure. Celle-ci a pour obligation de prendre en charge ses intérêts.
Le développement hiérarchique se fait en priorité par promotion interne par “ proximité hiérarchique immédiate ”, étape par étape, échelon par échelon, jusqu’au faîte de la structure, jusqu’au sommet de la hiérarchie.
Le groupe avance ensemble, par aspiration vers le haut à chaque fois qu’un échelon supérieur se libère. Mêmes devoirs, mêmes droits, même rythme d’évolution de carrière. L’évolution est longue, mais relativement automatique.
Concrètement, cela signifie que ce sont les éléments humains avoisinant la fonction vacante, ceux qui ont un savoir-faire immédiat, qui vont être invités à la prendre en charge et, par conséquent, à assurer des fonctions d’autorité sur ceux qui, le cas échéant, étaient leurs pairs précédemment.
Les individus entrent dans l’entreprise par la base, y gagnent Rang und Name (“ armes et titres ”) pour accéder à des fonctions à responsabilités croissantes. C’est une prime à l’ancienneté. Beraten kann man nur wenn man die Arbeit selber gemacht hat (« On ne peut conseiller que si on a fait le métier soi-même »).
Cette évolution se fait très progressivement et chacun l’accepte. Man will langsam in ein Thema hineinwachsen (« On veut se familiariser avec les choses progressivement »).
L’entreprise, ascenseur social ? Chez les Allemands elle l’est quelque peu effectivement.
Si les Anglais favorisent les financiers au sommet de leur hiérarchie, les Américains les commerciaux, en Allemagne, les financiers et les juristes, les détenteurs du savoir technique de l’entreprise, les hommes du métier, les “ Spécialistes ” (der Fachmann) seront souvent privilégiés.
Les dirigeants actuels des grands groupes sont fréquemment des techniciens issus de la fonction production qui ont évolué vers la hiérarchie avec le temps. Le patron de Mercedes, Jürgen Schrempp, a débuté comme apprenti mécanicien et se présente fièrement comme “ Ein Autoprofi ” (« un pro de l’auto »).
Si à l’occasion d’une vacance de poste, un type de compétences n’est pas disponible dans la structure, ni ne peut être formé à court terme, on cherchera à intégrer un élément exogène. Cela dit, si l’on déroge à la pratique normale, on se tournera prioritairement vers quelqu’un issu du même métier, un autre “ Spécialiste ”, par opposition aux généralistes et ce, quelles que soient leurs aptitudes intellectuelles et leur capacité dynamique.
Le parachutage d’éléments exogènes n’est pas perçu, comme chez d’autres, comme un enrichissement. Tout un chacun voit la chose comme un acte d’autorité illégitime et un nouvel arrivant dans ces conditions est toujours en butte à des réticences importantes, qui vont croître dans le temps, jusqu’à bloquer tout le système, s’il ne se fond pas dans le moule de l’organisation.
Ainsi, s’il faut absolument intégrer de nouvelles compétences tout en leur aménageant des conditions opérationnelles et financières, voire même un rythme de travail particulier, il vaut mieux externaliser la fonction à la manière de nombreux groupes qui ont créé des filiales spécifiques pour leurs services informatiques quand il s’est agi de développer ceux-ci de manière accélérée. La démarche consiste à isoler les éléments atypiques, “ les indiens ”, pour qu’ils ne perturbent pas la sérénité de la structure mère.
Si un élément exogène doit malgré tout être inséré dans une structure, notamment lorsqu’il s’agit d’une filiale de groupe étranger, il doit être le moins possible opérationnel pour ne pas interférer directement dans le champ de compétences des acteurs historiques de la structure, ni bloquer leur évolution hiérarchique, et servir essentiellement d’agent de liaison avec la maison-mère.
Enfin, si les responsabilités sont naturellement confiées à ceux qui les prennent et si l’individu peut grimper dans la hiérarchie, il n’est cependant pas obligé de le faire. Il n’y a pas la contrainte de la dynamique anglo-saxonne qui dit “up or out”. Ici, le salarié dispose d’un “ droit de pause ” et peut très bien décider de ne plus progresser.
Les Allemands ont trouvé une voie médiane, un véritable Sonderweg (« voie spécifique ») permettant de concilier “ développement ” et “ sécurité ”. C’est littéralement le développement dans la sécurité.
Une carrière se fait donc par étapes successives et obligatoires :
- L’intégration dans le corps social, généralement par l’apprentissage ou un stage,
- des fonctions primaires d’exécution, le “ faire ”,
- des fonctions intermédiaires dans le cadre d’une réelle participation, le “ faire et proposer”,
- puis des fonctions hiérarchiques avec autorité sur des tiers, la responsabilité de services ou de groupe, en un mot des fonctions de direction, le “ faire faire ”,
- et enfin, des fonctions proprement dites de top management.
Les conditions psychologiques de l’évolution hiérarchique
En milieu individualiste, notamment en France, on teste les collaborateurs pour effectuer une sélection au fil du temps. On privilégie les aptitudes particulières et on cherche des individus “ moteurs ”. Ce faisant, on ne s’interdit pas de prendre le risque d’intégrer des éléments atypiques, considérant que s’ils ne s’avèrent pas opérationnels on les remerciera.
En milieu communautaire, notamment en Allemagne, les individus deviennent titulaires de droits avec le temps, il faut donc éviter de se tromper sur le choix de ses collaborateurs et s’assurer qu’ils ne seront pas un sujet de dysfonctionnement pour le groupe.
Le groupe va s’assurer qu’ils auront les capacités professionnelles, les aptitudes techniques et opérationnelles requises, mais aussi et surtout la capacité d’intégration et la volonté de se soumettre à ses valeurs organisationnelles et hiérarchiques. Il y donc une double contrainte pour l’intégration : compétence et diligence d’une part, allégeance d’autre part. Il s’agit de tester la fiabilité des impétrants pour éviter toute déviance ultérieure. Avant qu’ils ne bénéficient d’apports en technicité et ne deviennent titulaires de droits, ils seront mis en observation.
Cette période permet de se frotter à un univers professionnel pour vérifier si la spécialisation convient, d‘acquérir un véritable métier sanctionné par un diplôme tout en étant quelque peu rémunéré.
Cela renforce la relation personnelle du candidat avec l’entreprise, d’autant plus que la majorité des Azubis (Auszubildende, « apprentis ») a un parent, père, mère, oncle, tante dans l’entreprise qu’ils intègrent. On les appelle des Mikis ou Mitarbeiterkinder (« enfants de collaborateurs »). Cela n’a pas que des avantages, car le poids des familles oblige les entreprises à recruter des employés, le cas échéant, moins compétents, ce qui accentue la dimension traditionnelle et le poids politique des anciens et renforce les réticences au changement.
L’apprentissage, le stage, la fonction de “ trainee ” sont donc un premier sas de vérification de normalité et de faisabilité, une phase d’observation et de socialisation.
Im Unternehmen will man die fachliche und soziale Eigenschaften prüfen (« pour l’entreprise, il s’agit de vérifier les capacités professionnelles et sociales d’une personne »).
Les jeunes diplômés, ou Hochschulabsolventen, démarrent généralement eux aussi par un stage d’un à deux ans, rémunéré environ 1.000 euros par mois).
Une fois reconnue sa capacité à “ être ” au sein du groupe, son “ savoir être ”, l’individu va pouvoir progressivement affirmer son “ savoir-faire ”. Il va connaître une progression continue, mais lente, de sa carrière, passant par des paliers de savoir et d’expérience.
“ En devenir ”, il n’est pas encore reconnu comme un des pairs. Il doit d’abord faire ses preuves et il lui est demandé de faire profil bas, de prouver qu’il sait s’intégrer dans le moule avant de chercher à vouloir accéder à une autorité quelconque et être officiellement admis comme co-acteur qualifié.
Au début, quel que soit son diplôme, il est usuellement cantonné dans des fonctions d’exécution. Son champ d’action est totalement bordé, tant en termes de mission que de moyens et de méthodologies à appliquer. A ce stade, chaque opérateur est astreint à l’observation impérieuse de règles extrêmement formalisées dans les “ manuels de procédures ”, les Handbücher. Il doit se borner à “ faire ” et il est astreint à une importante soumission hiérarchique.
Lorsque se présentera une opportunité de promotion, elle lui sera proposée sous la condition qu’il satisfasse au choix conjugué de la hiérarchie et de ses pairs.
– A l’égard de la hiérarchie qui opérera une sélection positive, il faudra qu’il ait démontré sa capacité à “ faire ”, sa valeur professionnelle intrinsèque, sa performance.
– A l’égard de ses pairs qui effectueront une sélection négative, il aura dû démontrer sa capacité à intégrer les normes du groupe, sa volonté d’être un acteur positif, à éviter les conflits. Il sera l’objet d’une véritable cooptation.
Quand il commence à être reconnu comme acteur ayant du potentiel, lorsqu’il a démontré, longuement, sa capacité à exécuter les tâches qui lui sont confiées, mais aussi à « être » au sein du groupe, il accède au niveau de la participation où il va pouvoir “ faire et proposer”.
Il sera admis au sein des comités décisionnels, les Gremien ou Ausschüsse, pourra prendre part aux décisions opérationnelles et pourra mitstimmen (« contribuer aux décisions »).
Ce sera le début de la consécration, car il se verra attribuer ein Kompetenzbereich, ein Zuständigkeitsbereich(« une zone de compétence ») en propre.
Ultérieurement, en fonction de nouvelles opportunités de progression, il lui sera proposé de prendre en charge des fonctions de direction, des fonctions d’autorité hiérarchique sur des tiers. C’est le “ faire faire ” en qualité d’Abteilungsleiter (« responsable de service ») ou Verkaufsleiter (« directeur commercial »).
Cette évolution requiert généralement un minimum de 5 à 10 ans d’ancienneté et intervient à 40 ans environ, pour garantir un minimum de maturité.
Plus tard encore, après 20 à 30 ans de bons et loyaux services, de respect continu et régulier des normes de l’organisation, le salarié pourra accéder aux plus hautes responsabilités, la Gérance, le Comité de Direction, le “ Vorstand ”.
On laisse donc largement mûrir les compétences. L’autorité s’acquiert avec le temps. De ce fait, évidemment, les jeunes diplômés n’accèdent que rarement à des postes à responsabilité dans les premières années, contrairement à ce qui se passe sous d’autres cieux.
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